J’ai enfin trouvé l’explication à une interrogation qui me taraude depuis des années : pourquoi, lorsque l’on explique simplement un problème à nos directions métiers, elles ne comprennent pas vraiment le sujet ? L’explication se trouve dans une étude de l’OCDE (moi aussi, j’ai mes lectures intellectuelles…), publiée en octobre.
Les experts ont mesuré au niveau mondial, dans 24 pays, ce qu’ils appellent la « littératie » (« alphabétisation » en français, ou « littérisme », selon la traduction officielle de l’anglais « literacy ») des adultes. De quoi s’agit-il ? C’est, d’après la définition des spécialistes : « La capacité de comprendre, d’évaluer, d’utiliser et de s’engager dans des textes écrits pour participer à la société, pour accomplir ses objectifs et pour développer ses connaissances et son potentiel. La littératie englobe une variété de compétences, depuis le décodage de mots et de phrases jusqu’à la compréhension, l’interprétation et l’évaluation de textes complexes. »
On pourrait penser que nos chers collègues sont des « littératiens » avisés. N’ont-ils pas fait quelques années d’études ? N’occupent-ils pas pour la plupart des postes de managers ? Horreur, nous apprend l’étude de l’OCDE : « En France, 22 % des personnes âgées de 16 à 65 ans ont un faible niveau de compétence dans le domaine de l’écrit et 28 % dans le domaine des chiffres. Pour l’ensemble des pays participants, les proportions moyennes sont respectivement de 16 % et 19 %. » Seuls les Espagnols et les Italiens font moins bien que nous !
Si je lis entre les lignes, en moyenne, dans une réunion des comités de pilotage de projet, un participant sur cinq ne parvient pas à comprendre ce qui est écrit et presque un sur trois ne comprend rien aux chiffres ! Je sais maintenant pourquoi tous nos projets traînent en longueur, pourquoi il faut répéter dix fois les mêmes arguments et pourquoi quand on pose une question basique, on n’obtient aucune réponse.
Certes, il faudrait nuancer les moyennes : les individus qui ont poursuivi des études supérieures seraient quand même plus aptes que les autres, question compréhension de textes et calculs. Mais je demande à voir, tant j’ai de contre-exemples dans mon entreprise. Je dirais même que c’est l’inverse, surtout dès qu’il s’agit de bon sens. Certains de nos managers sont de véritables « buses », voire des « triples buses », tellement ils cumulent. À commencer par certains membres du comité de direction qui auraient bien besoin d’une formation du style « Comprenez ce que l’on vous a dit et répété en dix leçons… ».
J’ai élaboré mes propres statistiques. Elles sont hélas, bien pires que celles de nos experts de l’OCDE : lors du dernier comité de direction, j’ai calculé que la proportion de « pas doués en littératie » et de « pas doués en numératie » (capacité à résoudre des problèmes basés sur des concepts mathématiques simples) représentait pas moins de la moitié des participants. On s’étonnera que les entreprises ne soient pas agiles, réactives, proactives et créatives ! Je suggère à l’OCDE de calculer un indicateur adapté aux directions générales dans lequel on mesurerait leur niveau de maîtrise des problématiques liées aux systèmes d’information et à l’entreprise numérique…
En attendant que cet indicateur miracle nous révèle enfin la réalité, je vais profiter de la situation : puisqu’une bonne proportion de nos chers collègues éprouvent des difficultés à comprendre ce qu’on leur explique, je vais pouvoir faire passer mes idées plus aisément. Et, bien sûr, arranger le budget à mon avantage ! Comme disait le célèbre philosophe et maître du jeu d’échecs San Tsu Tzou (Ve siècle avant l’invention du tableur) : « Le temps que les mal-comprenants se mettent à commencer à tenter de comprendre, vous avez largement le temps de pousser vos pions, même s’ils sont bancals et moisis. »