Offshore, gare au choc culturel !

Certains ont peur du noir… D’autres ont peur de l’offshore… C’est probablement l’une des raisons pour lesquelles nous éprouvons des difficultés à recruter des informaticiens. Le monde de l’informatique est devenu un univers beaucoup plus violent que par le passé, sur fond de réorganisations, restructurations, et d’infogérance poussée à bout…

Chez Moudelab & Flouze Industries, nous n’échappons pas à la globalisation (nous avons une usine en Chine dans le cadre d’une coentreprise avec Ta-Chô Outussé, un fabricant de roulement à billes), nous y participons même. Mais à chaque fois que j’évoque devant mes équipes la possibilité de recourir à des développements offshore, essentiellement pour réduire les coûts, la méfiance s’installe. « Si tu veux nous envoyer direct au chômage, dis-le franchement, ça ira plus vite », me rétorque-t-on. D’autres y voient le début d’un engrenage fatal : « On commence par quelques lignes de code, on finit par tous les développements et nous serons réduits à être les laquais des Indiens ». D’autres encore craignent qu’on les obligent à s’aligner sur le niveau de qualité des Indiens : grimper les barreaux de l’échelle de maturité Cmmi (Comment Mieux Manager les Indiens) leur semble insurmontable.

Pour leur montrer à tous que les informaticiens en offshore, qu’ils soient indiens ou chinois, sont nos alliés, je me suis résolu à accueillir à la DSI deux stagiaires : Indirâ Riendutoû, une jeune Indienne prometteuse tout juste sortie de l’université de Bangalore et un Chinois, Ote Té Tong, envoyé par notre partenaire local Ta-Chô Outussé, dans le cadre des accords bilatéraux d’échanges de compétences. En échange, je leur ai envoyé pour six mois deux chefs de projets, incompétents notoires et trop contents de voir du pays, dont je ne savais pas comment me débarrasser. C’est toujours ça de pris…

Pendant six mois, nos deux invités ont participé à tous les comités projets, se sont intéressés à la refonte de nos applicatifs, ont longuement discuté avec les équipes des études et de la production. Nous leur avons confié le développement d’un module de gestion de la chaîne logistique, tâche dont ils se sont acquittés dans les délais et avec un niveau de qualité très satisfaisant. Malgré un anglais approximatif, les échanges ont été fructueux. C’est du moins ce que m’ont rapporté plusieurs de mes collaborateurs.
– Qu’avez-vous donc appris ? leur demandai-je.
– Qu’ils ne travaillent pas comme nous mais qu’ils travaillent bien, m’a résumé le patron des études, surpris que nos deux stagiaires passent énormément de temps à documenter chaque ligne de code. Une pratique qui, il faut bien l’avouer, est tombée peu à peu en désuétude dans notre DSI. « Ils sont tellement fiers de ce qu’ils font que ce n’est plus de la saine émulation entre eux, mais de la concurrence à outrance. C’est à celui qui en fera le plus et de meilleure qualité », ajouta mon directeur des études.
– Qu’ils sont moins chers que nous, nettement moins chers, a ajouté l’un des chefs de projets, par ailleurs syndicaliste et plus ardent défenseur des avantages acquis des informaticiens (il peut réciter le texte intégral de la convention collective en commençant par la fin, ça fait toujours rire dans les pots du vendredi…).

Ote Té Tong et Indirâ Riendutoû ont en tout cas eu le mérite de bousculer le train-train quotidien de notre DSI. De quoi attiser ma curiosité. Je les ai donc reçus, leur stage chez nous tirant à sa fin. Cela m’intéressait beaucoup d’en savoir plus sur leurs conceptions de la gestion de projet, notre point faible…
– Expliquez-moi pourquoi vous réussissez là où nous avons des difficultés, leur demandai-je.
– Comme disait Confucius, « la patience est la plus grande des prières », résuma Ote Té Tong.
– Comme disait Boudha, « une petite impatience ruine un grand projet », renchérit Indirâ Riendutoû.
C’est vrai que nous avons quelquefois tendance à bâcler le travail…
– Et entre nous, quelle est votre perception de la qualité de mes équipes ? leur demandai-je.
– Comme disait Confucius, « lorsque l’on se cogne la tête contre un pot et que cela sonne creux, ce n’est pas forcément le pot qui est vide », me rétorqua Ote Té Tong.
– Pour ma part, je retiendrai la pensée suivante : « Ne vous souciez pas ne n’être pas remarqué, cherchez plutôt à faire quelque chose de remarquable », m’indiqua Indirâ.
– C’est Boudha qui a dit ça ?
– Non c’est Confucius, mais nous, les Indiens, on s’adapte très vite pour piquer les idées des autres…
Je ne suis pas encore prêt pour une conversion au boudhisme, mais je vais relire les œuvres complètes de ce Confucius…