Jusqu’à maintenant, tout allait bien : on pouvait participer très facilement aux événements, salons, symposiums et autres soirées conviviales organisées par ou pour les fournisseurs. Mais, ça, c’était avant
J’ai reçu récemment une invitation pour un événement « 100 % retour d’expérience » sur la problématique DevOps. Un « rendez-vous haut de gamme », selon les organisateurs, qui ont conçu un programme effectivement très attractif. Mais, avant de me précipiter sur le formulaire pour m’inscrire, j’ai consulté le « code de conduite ». Un surprenant document, dont je vous livre quelques extraits :
« Nous, organisateurs, et signataires de ce code de conduite, nous engageons à ne tolérer aucune forme de harcèlement, quelles qu’en soient les circonstances. Les visiteurs, sponsors et partenaires qui enfreindraient cette règle seront sanctionnés et exclus de la conférence sans aucune possibilité de remboursement, sur simple demande des organisateurs. » Ça commence bien. Mais qu’entendent-ils par harcèlement ? : « Il comprend les commentaires verbaux, écrits ou gestuels offensants, au sujet du genre, de l’orientation sexuelle, du handicap, de l’apparence physique, de l’ethnie ou de la religion. Est considéré comme du harcèlement le fait de suivre, observer, photographier, filmer, enregistrer, imposer un contact physique à une personne sans son consentement ou à son insu. Le harcèlement se définit également par tout comportement visant délibérément à intimider une personne, y compris par le fait de l’interrompre systématiquement dans ses activités et ses échanges avec les autres participants. De même, il ne sera toléré aucune avance à caractère sexuel déplacée. Il est enfin interdit de diffuser tout contenu à caractère sexuel dans un espace public, ni d’entamer toute activité, gestuelle, annonce à caractère sexuel. Ce dernier point concerne également l’accoutrement sur les lieux de la conférence qui ne doit en aucun cas être provocant ou contribuer à une sexualisation de la personne ainsi vêtue, et de la conférence en elle-même par extension. » Il y en a deux pages où l’on doit accepter le fait que « les propos suggestifs ou désobligeants peuvent offenser les autres participants » et que « les gens peuvent avoir des sensibilités différentes. »
Cette initiative me semble encore isolée, mais nul doute que ces avertissements vont se répandre, surtout de la part d’éditeurs anglo-saxons, qui savent y faire dans le baratin vertueux. Ils nous font déjà le coup dans leur présentations commerciales, avec les « avertissements comme quoi ce qu’on vous dit peut être complètement bidon et que, non, bien sûr, on ne se fout pas de votre gueule, on oserait pas, nous sommes quand même cotés en bourse, etc… ». Bien sûr, c’est résumé, mais c’est l’esprit.
Imaginez l’enfer dans les événements soumis à des codes de bonne conduite. Si vous murmurez que la présentation commerciale, bourrée de slides insipides, est nulle, vous allez être accusé de harceler le pauvre commercial qui a passé du temps à imaginer comment endormir une salle.
Si vous avez une chemise sans cravate avec quelques poils de torse qui dépassent, s’agit-il de sexualisation qui pourrait choquer ceux qui sont obligé de mettre une cravate en pleine canicule et qui n’ont pas la chance de se mettre à l’aise ? Si, devant un buffet appétissant, on pousse très légèrement les pique-assiettes goinfres qui restent devant les petits fours pour en ingurgiter le plus possible, est-ce qu’on impose « un contact physique à une personne sans son consentement ou à son insu » ? Et si un « Putain, que c’est chiant ! » vous échappe, est-ce un « commentaire verbal désobligeant » ? En fait, oui, ça dit bien ce que ça veut dire… On ne pourra même plus faire signe à quelqu’un que l’on connaît pour lui demander de ses nouvelles, cela pourrait être interprété comme un acte « d’intimidation », parce qu’on l’aura « interrompu dans ses activités et ses échanges avec les autres participants. » Quant à se moquer de la déficience intellectuelle de certains consultants, c’est très risqué ! Avec dénonciation à la clé, car le code de conduite impose de « désigner aux organisateurs le ou les responsables de ce comportement inadapté. » Pire, les organisateurs, s’ils perdent la raison, ne perdent pas le nord, chaque participant doit accepter que les organisateurs utilisent son image « afin de permettre à l’événement d’assurer sa promotion et ainsi de se développer. » Si c’est pour la bonne cause…
Heureusement, la généralisation de tels codes de conduite a quand même quelques avantages. Ainsi, quand un commercial viendra engager la conversation pour nous vanter les mérites de sa solution on pourra considérer que c’est du harcèlement, surtout s’il nous tend une documentation commerciale avec des propos inappropriés et vraiment offensants, comme « nous sommes leader sur notre marché », « on est sûr que notre solution correspond à vos besoins » ou « vous obtiendrez un ROI extraordinaire ! » De même, on pourra ignorer la carte de visite d’un commercial avant-vente sous prétexte qu’il fait partie de l’équipe des « Sales Executives », terme ambigu. Et s’il insiste pour nous présenter sa collection de slides, on pourrait même inventer notre propre RGPD pour refuser toute sollicitation commerciale : Remballe Gentiment ta Présentation Débile…