Beaucoup d’entre vous connaissent le dessin animé des années 1970 Satanas et Diabolo, deux compères qui ont un objectif et un seul : attraper le pigeon ! Un vrai… On se demande quand même si ce mot d’ordre ne serait pas toujours d’une brûlante actualité en dehors du monde farfelu des dessins animés et de la fiction en Technicolor.
Un intéressant dossier publié il y a quelques semaines par Le Journal du Net sur ce que sont devenues les start-up qui ont été récompensées il y a quelques années (sûrement pour la clairvoyance de leurs dirigeants et la qualité de la vision de leur business…) nous rappelle le mécanisme. Il s’agit de convaincre un investisseur, qui joue en l’occurrence le parfait rôle de pigeon, de donner son argent en pure perte mais en lui faisant croire le contraire, bien sûr. Et l’on a des exemples : Goojet, un portail personnalisable pour mobile avait levé six millions d’euros en 2007. Résultat : un chiffre d’affaires riquiqui de 92 000 euros deux ans plus tard et une perte de 1,9 million.
Autre exemple : Yoono, un moteur de recherche collaboratif, qui a dégagé un petit 5 000 euros de chiffre d’affaires pour plus de 721 000 euros de pertes… Il faut bien que les actionnaires paient les factures… Souvent, il ne s’agit pas d’attraper un seul pigeon mais une nuée, cela permet de lever encore plus de fonds.
Imaginons ne serait-ce qu’un instant que les DSI pratiquent de la même manière. Bon, d’accord, j’en vois certains qui se pressent de murmurer que certains de leurs collègues n’en sont pas loin : considérer les directions métiers comme des pigeons susceptibles de financer à fonds perdus des projets dont leurs concepteurs savent pertinemment, et dès le cahier des charges, que rien ne tient la route et qui se gardent bien d’avertir les futurs utilisateurs. Imaginons le décor : le comité de direction, qui jouerait le rôle d’une « bande de business angels » (vous remarquerez que ca sonne comme « une bande de Hell’s Angels » c’est dire si ces gens sont d’un abord a priori sympathique…). Les business angels et membres des comités de direction ont toutefois un point commun : leur méconnaissance congénitale des apports et de la valeur des technologies de l’information. Sinon les premiers ne mettraient pas un sou dans des projets sur lesquels il est écrit visiblement « né pour échouer » ; et les seconds n’auraient pas besoin qu’on leur explique dix fois la même chose.
Face au comité de direction, on imagine mal un DSI tenir le discours suivant : « J’ai un super projet à vous soumettre. La DSI vous propose de révolutionner la vie de nos collaborateurs avec un portail Internet auxquels ils vont tous se connecter, et tous les jours, et dans lequel ils trouveront quantité de services. Il nous faut sept millions d’euros, pendant les quatre prochaines années, il n’y aura pas de retour sur investissement et, au-delà, vous pourrez espérer, que, peut-être, mais c’est vraiment pas sûr, il y a une possibilité pour que ça marche, mais c’est sans aucune garantie : vous me suivez dans ce projet révolutionnaire ? » Là où des business angels applaudiraient des deux mains en scandant que cette idée est vraiment géniale et qu’elle ne peut que réussir, le comité de direction, dont les membres sont loin d’être des « anges », se demandera si le DSI n’est pas devenu complètement dingue d’avoir oublié qu’un ROI à plus de six mois, c’est passé de mode.
Et je suis prêt à parier que n’importe quel DSI, aussi brillant soit-il, aussi charismatique soit-il, aussi complice soit-il avec les managers, ne tiendra pas plus de deux minutes avec un tel discours. C’est pourtant ce que l’on entend, à écouter les jeunes patrons de start-up, poussés par des financiers qui n’en pensent pas moins… Ce genre de discours nous a conduits à l’éclatement de la première bulle Internet. Et nous prépare à la seconde. Et la prochaine fois que je recevrai dans mon bureau un jeune patron de start-up venu me vanter l’utilité de son nouveau logiciel, je suis sûr qu’à la question : « Quels sont les objectifs de votre société ? » il me répondra : « Lever des fonds ». Au lieu de « Travailler encore plus dur pour que nos solutions créent encore plus de valeur pour votre système d’information. » Ah, les jeunes…