« This is the end… » On connaît la chanson culte du film non moins culte Apocalypse Now. On a l’impression que ce refrain résonne dans la tête de tous les commerciaux des éditeurs de logiciels et des intégrateurs. Lorsque la fin du mois arrive, on soupçonne que l’apocalypse n’est pas loin si les commerciaux n’ont pas fait leurs chiffres trimestriels…
De quoi faire râler les actionnaires et autres fonds de pension dont l’indice de satisfaction est indexé sur le nombre de licences et d’avenants signés au cours des trois derniers mois ! Conséquence de ce regain de fébrilité parmi ces vendeurs : ils décrochent leur téléphone et appellent tous les DSI de leur carnet d’adresses pour vérifier si, au cas où, ils n’auraient pas une petite mission à leur confier ou quelques postes de travail en plus à équiper avec leurs produits.
Si le DSI n’est pas disponible ou injoignable, la nuée de coups de fil s’abat sur tous les collaborateurs de la DSI qui ont autre chose à faire que d’écouter les discours formatés. Et nos chers fournisseurs sont très doués pour trouver les numéros directs ou les adresses de nos e-mails. Donc, à chaque fin de trimestre, à partir du 15 du mois, nous nous préparons à recevoir les envahisseurs. Soyons clairs : il ne s’agit pas de bouter hors des murs de la DSI tous les fournisseurs qui nous appellent, nous avons besoin d’eux pour nous suggérer des idées sur ce que l’on peut faire avec leurs solutions, ou ce que leur expertise peut nous apporter.
Non, il s’agit plutôt de ceux qui, comme dans n’importe quel métier (que l’on songe aux agents immobiliers, aux vendeurs de voitures, d’assurance-vie…) qui en font trop, en espérant nous faire craquer pour « leur solution leader et révolutionnaire ». Tout comme les Japonais sont préparés aux tremblements de terre et savent comment y réagir, les DSI devrait être prêts à gérer les casse-pieds. Nous avons donc établi une liste de ces casse-pieds que nous finissons par identifier. Certes, la première fois, il faut un volontaire pour essuyer les plâtres, alors que l’on ne méfie pas face à une nouvelle tête envoyée au front par son employeur pour nous vendre la panoplie complète destinée au DSI (des licences à n’en plus savoir qu’en faire, des contrats de maintenance surdimensionnés, des consultants en léger surnombre…).
Tous les noms, associés à leur numéro de téléphone, sont ainsi programmés sur nos propres postes : dès que l’un appelle, le terme « casse-pied » (certains préfèrent d’autres termes moins diplomatiques…) clignote sur le mini-écran du téléphone et l’importun bascule sur le répondeur qui, lui, a le temps d’écouter. J’aurais voulu développer des applications plus complexes, mais plus rigolotes : par exemple, leur demander de laisser leur message sur un numéro surtaxé et nous aurions partagé les bénéfices en fin d’année. Mais la direction financière nous l’a interdit. « Pas de caisse noire dans le Groupe », nous a-t-on expliqué.
Autre exemple, décliner le principe du dîner de con, mais, hélas, nous n’avons guère le temps. Le principe serait de repérer, parmi les commerciaux que l’on nous envoie, un excellent spécimen avec, si possible, une haute idée de lui-même, une forte propension à parler une langue de bois que même des bûcherons chevronnés ne parviendraient pas à scier sans du matériel lourd, et une méconnaissance chronique des offres qu’il est censé vendre. Et de l’inviter à une réunion pour nous présenter ses solutions. Quelques collègues DSI (qui disposent d’un peu plus de temps que nous) pratiquent ce genre d’exercice : en général, les victimes repartent assez dépitées et ne reviennent pas sans un bon motif. Nous disposons, depuis quelques semaines, d’un nouvel outil : les Ratings Best Practices, gros document qui évalue les fournisseurs. Un des critères concerne le « niveau de pression commerciale. » C’est joliment dit, mais, en réalité, il s’agit d’un bon indicateur de « la propension d’un fournisseur à casser les pieds à ses clients ».
Nous avons donc la liste : tous ceux qui ne sont pas notés AAA sont suspects de vouloir venir nous casser les pieds. Vous voulez la liste des moins disciplinés ? Allez je vous la livre : Ac…, Ad…, Ag…, Al… Non, en réalité, je vais garder l’info pour nous et pour ceux qui ont eu la bonne idée de se procurer les notes détaillées. Mais, promis, la prochaine fois, je balance les noms !