Les « experts » du marketing de nos chers fournisseurs ne manquent pas d’imagination et osent tout. C’est à cela qu’on les reconnaît, comme dirait Michel Audiard. On sait depuis longtemps que nous sommes des cibles de choix pour leurs commerciaux et que les fournisseurs se délectent de nos données personnelles pour nous envoyer des e-mails de prospection, nous proposer des rendez-vous personnalisés avec leurs gourous ou nous convier à des événements qu’ils paient très cher pour un ROI minable.
Car avouez quand même que débourser quelques milliers d’euros pour un fichier Excel, avec des adresses postales que n’importe quel stagiaire peut trouver dans les pages jaunes, et des e-mails qui traînent dans tous les fichiers normalement constitués, c’est un peu du gâchis… Mais c’est leur problème et leurs budgets…
En mal de ROI, les marketeux (terme qui me fait d’ailleurs penser à lépreux, tuberculeux et autres maladies bien dégueues…) ont inventé une superbe machine à générer des « leads », c’est-à-dire des opportunités de projets dans les entreprises. Le principe est simple : imaginons que vous téléchargiez un livre blanc, après avoir complété un formulaire vous demandant votre pédigrée.
Pour le fournisseur qui a produit le livre blanc, ce n’est pas suffisant : on n’a en effet jamais vu un DSI se précipiter sur son carnet de chèque après avoir lu un livre blanc, la plupart ne présentant guère d’intérêt et, de toute façon, on n’a pas le temps de tout lire. Vous allez alors intégrer la catégorie des « suspects », terme consacré des spécialistes du marketing qui signifie « individu cible qui n’est pas encore suffisamment qualifié ». Vous allez pouvoir être « nurturé » comme dans une couveuse où on vous apporte ce dont vous avez besoin : vous vous intéressez au Big Data ? Un algorithme va identifier la thématique qui a retenu votre attention et on vous abreuvera d’autres livres blancs sur le sujet ou des sujets connexes, de retours d’expériences plus ou moins bidonnés, d’invitations à des événements ou à des webinars, sans oublier les traditionnels rapports d’analystes, toujours très flatteurs. Même si l’on n’a rien demandé. Le fournisseur espère, qu’ainsi chouchouté en informations, vous sortirez enfin votre chéquier. Quelquefois, c’est vrai, mais, le plus souvent, c’est beaucoup d’efforts pour rien.
Comme je télécharge régulièrement des contenus de fournisseurs, car il en existe quand même qui apportent quelques idées (pas ceux qui sont écrits par des commerciaux), je figure dans tous les programmes de « nurturing de DSI » de pratiquement tous les fournisseurs. Les algorithmes des fournisseurs m’aiment bien, je reçois énormément de contenus sur des thématiques dont je n’ai que faire. J’imagine que les algorithmes fonctionnent selon le principe « Si tel DSI s’intéresse au Big Data, c’est qu’il s’intéresse au décisionnel. S’il s’intéresse au décisionnel, c’est qu’il gère des bases de données, donc qu’il a des serveurs, qu’ils sont dans un datacenter, donc qu’il faut des onduleurs pour sécuriser, donc qu’il faut des prises électriques… etc. » C’est ainsi qu’en m’intéressant aux technologies mainframes, j’ai reçu des propositions pour des tapis de souris, sous prétexte que les utilisateurs de mainframes s’y connectent, via un terminal équipé d’une souris…
J’ai imaginé un petit jeu à partir d’un constat : dans les menus déroulants nous demandant quel est notre secteur d’activité et dans quel pays nous sommes, par défaut, il apparaît « Agriculture » et « Afghanistan », suivant l’ordre alphabétique. Comme je suis paresseux et que je rechigne à dérouler le menu jusqu’à la lettre F, je suis donc devenu agriculteur afghan dans les fichiers des fournisseurs, avec un chiffre d’affaires de plusieurs millions (je coche toujours la case correspondant au montant de chiffre d’affaires le plus élevé, c’est mon luxe).
Que se passerait-il si tous les DSI faisaient comme moi ? On imagine la tête des responsables marketing qui constateraient que leur premier marché est constitué de bergers illettrés parcourant à dos d’âne les montagnes d’Afghanistan avec des charrettes débordant de liasses de billets. C’est certainement très motivant pour un commercial qui vend de l’ERP, de la dématérialisation, des bases de données ou des progiciels financiers ! Un ouvrage récent a pour titre « À quoi rêvent les algorithmes ? ». En attendant de le savoir, on peut leur donner quelques cauchemars en biaisant les données qu’ils collectent. Je suis sûr que la prochaine fois que vous remplirez un formulaire pour demander un livre blanc vous deviendrez, vous aussi, agriculteur afghan.
On joue ensemble ?