À peine suis-je revenu de vacances, bien méritées, que je dois faire face à une révolution culturelle. Le DRH veut faire sécession et ne plus avoir affaire à la DSI ! La sortie de la Grande-Bretagne de l’Europe a été, pour lui, un déclic.
– Les anglais vont bien sortir de l’Europe, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas sortir de la DSI !, m’a soutenu notre directeur des ressources humaines.
Ah ! La logique implacable des DRH… Lorsque je lui ai demandé quels arguments il avance pour justifier une telle stratégie, il a encore appliqué une belle logique : « Je paie pour les autres, vous entretenez une armée de chefs de projet dont on se demande à quoi ils servent, nous croulons sous le poids des règles édictées par la DSI. Moi, je vous le dis, nous sommes comme les anglais face à l’Europe : ça coûte cher et il y a trop de réglementations », a-t-il résumé, en reprenant la célèbre injonction de Margareth Thatcher : « Rendez l’argent ! »
Heureusement, jusqu’à présent, le DRH est le seul à adopter une attitude aussi radicale. Les autres directeurs métiers n’en pensent peut-être pas moins, mais savent reconnaître nos atouts pour les aider.
Notre DRH rêve d’une externalisation totale de la DSI, remplacée, au gré des projets, par une myriade de prestataires. Son slogan pourrait être : « Vous avez aimé le concept d’entreprise sans usines, vous adorerez l’entreprise sans collaborateurs ! »
– Un portefeuille de fournisseurs, ça se gère comme des collaborateurs : on regarde leur CV, on les fait travailler en CDD et, ensuite, on en prend d’autres s’ils ne font pas l’affaire. Tu verras, ils seront très motivés à venir travailler pour nous !, me dit-il.
C’est vrai qu’il rêve aussi, pour notre groupe, de collaborateurs 100 % en CDD ou en intérim. Depuis qu’il a suivi la dernière formation sur « les clés de la performance RH dans le monde d’aujourd’hui », il ne pense qu’à ça…
– Quitte à n’avoir personne de vraiment motivé pour travailler correctement, autant aller à la facilité, m’a-t-il expliqué.
Certes, dans le groupe Moudelab & Flouze Industries, la motivation des collaborateurs n’est plus ce qu’elle était. Comme dans beaucoup d’entreprises d’ailleurs.
L’arrivée de notre DRH groupe, il y a deux ans, n’avait pas été accueillie avec enthousiasme. Même notre PDG, pourtant peu difficile dans ses fréquentations, avait été hésitant. « Il m’a été recommandé par un ami patron du CAC 40, il est certainement bien, on verra à l’usage. »
Maintenant, on voit.
Sortir de la DSI ? Chiche ! Face à l’attitude de notre DRH, j’avais deux solutions : l’opposition totale ou l’encouragement à prendre son désir pour une réalité. La première solution aurait été facile, il m’aurait suffi d’exiger l’arbitrage de la direction générale. Comme la devise favorite de notre cher DG est « débrouillez-vous comme vous voulez, je ne veux pas d’ennuis… », le DRH serait rentré dans le rang aussi vite qu’il comptait en sortir. La seconde est plus audacieuse, mais pourquoi pas ?
– Je comprends ta position, quand commence-t-on ? lui dis-je.
– Quand commence-t-on quoi ? demande le DRH.
– Hé bien à débrancher le SIRH pour en transférer la responsabilité à tes équipes, à virer les prestataires qui assurent la maintenance, afin que tu puisses en choisir d’autres qui te conviennent, et à stopper les projets en cours, car j’imagine qu’ils ne seront plus financés directement…
Je me suis évidemment bien gardé de lui dire que la gestion d’un SIRH, même en mode SaaS, nécessite des compétences en interne, que recruter de nouveaux prestataires demande au moins un mois (sans parler du coût) et que nous ne donnerons pas les documentations, ni les codes sources des adaptations en cours sur le SIRH.
– Le plus tôt sera le mieux, la plupart de nos tâches, à la DRH, peuvent être gérées, comme dans beaucoup d’entreprises, avec des tableurs qui ne coûtent quasiment rien. On peut se passer d’un SIRH hors de prix et, pour des fonctionnalités plus avancées, des solutions cloud feront l’affaire. Je suis certain que nos coûts vont fondre.
– Oui, tu as raison, je t’encourage vivement dans cette voie. Nous débranchons donc dans quinze jours !
Hélas, il a fallu moins de temps pour que notre DRH ne change d’opinion. Lorsqu’il a réfléchi (ça lui arrive parfois), et discuté avec les autres membres du Codir (ça lui arrive quelquefois), consulté ses utilisateurs (ça lui arrive aussi), il s’est aperçu que les inconvénients l’emportaient largement sur les avantages. Crainte de se faire balader par les fournisseurs (c’est quasi-systématique), dépenses qui ne baissent pas autant que prévu (c’est systématique aussi), nécessité de recruter des profils coûteux car rares, incertitude sur la gestion des données, la gestion du changement… Quand il a fait la liste de tout ce qui l’attendait, notre DRH a finalement dit « qu’il allait… réfléchir !
Sage décision… Je tairai le nom de notre DRH, car si on peut l’envoyer exercer ses talents dans votre entreprise, on ne va pas se gêner…