L’éminent psychanalyste Sigmund Freud avait écrit sur le « retour du refoulé » pour expliquer comment des contenus refoulés, car inavouables, sortent de l’inconscient pour aller se nicher, par exemple, dans les rêves ou s’exprimer via des lapsus. Ça aurait été super que Mister Freud soit toujours de ce monde et vienne en stage d’observation dans notre DSI pour étudier le « retour du confiné » !
Cela lui donnerait certainement de nombreuses idées pour théoriser les changements que nous allons connaître, non seulement dans nos façons de travailler, mais aussi dans les relations entre les individus. Car après plusieurs semaines durant lesquelles toutes mes équipes sont restées cloîtrées à domicile, je ne sais pas dans quels états physiques et psychologiques elles vont me revenir.
- Il y aura ceux qu’il faudra remettre au boulot tant ils auront pris les mauvaises habitudes de se lever tard, de traîner pour le petit déjeuner, en attendant l’apéro, la sieste, le deuxième apéro et la soirée devant Netflix.
- Il y aura ceux qu’il faudra réhabituer à porter une tenue vestimentaire différente de celle qu’ils auront privilégiée. Je vois mal certains de mes collaborateurs venir au bureau en charentaises, tongs ou autres sandalettes, avec des tee-shirts douteux et des pantalons mal repassés, quand ce n’est pas le bermuda ressorti des placards avant l’heure.
- Il y aura ceux qui auront pris trois kilos et que l’on devra sevrer en leur interdisant l’abus de boissons sucrées au distributeur du deuxième étage, voire en les dissuadant définitivement de participer à des Pizza Teams pour éviter qu’ils ne replongent dans la boulimie.
- Il y aura ceux qui seront tellement contents de revoir leurs collègues qu’ils feront des pauses à rallonge près de la machine à café, ou pendant le déjeuner, histoire de retester tous les restaurants des alentours. On n’emploiera d’ailleurs plus l’expression « pendant l’heure du déjeuner », elle sera remplacée par « pendant le temps qu’on jugera nécessaire pour déjeuner ».
- Il y aura ceux qui, à l’inverse des précédents, ne seront pas vraiment ravis de revoir les collègues qu’ils détestent. Ils conserveront des pratiques de distanciation sociale, mais, à la différence d’avant, ils auront pendant longtemps une bonne raison : « On ne sait jamais, si le virus revient… »
- Il y aura ceux qui veulent retourner dès que possible en confinement, tellement ils se sont sentis bien dans une telle configuration de télétravail (ou de télé-travail, en deux mots, pour les abonnés à Netflix et à Amazon Prime). Je ne suis pas contre, car ce sont en général les moins productifs.
- Il y aura ceux qui auront tous les signes d’un syndrome post-traumatique. Ils vont cumuler l’anxiété, les insomnies, les cauchemars, l’irritabilité, l’isolement (même dans un Open Space, ils en sont capables), la colère, la peur, parfois les violences ou les conduites addictives et même la dépression. Rien que ça. Déjà que, dans mes équipes, j’ai quelques spécimens bien atteints et d’autres à qui il ne fallait pas grand-chose pour basculer du côté obscur du confinement…
- Il y aura aussi nos clients internes, qui s’estimeront, à tort, guéris du conarovirus, autrement plus contagieux que le coronavirus, comme je l’ai expliqué dans un précédent numéro. Pour ceux-là, il faudra conserver les bonnes habitudes de distanciation sociale avant qu’ils ne contaminent mes équipes.
Heureusement, la période de confinement aura eu de bons côtés. J’en vois au moins trois. D’abord, on va s’apercevoir que beaucoup de réunions, qui ont été annulées du fait du confinement, ne servaient en fait à rien et que l’on pouvait facilement s’en passer sans mettre en péril le fonctionnement de l’organisation. Je vais enfin gagner du temps pour faire autre chose ! Ensuite, nous obtiendrons probablement davantage de budgets, ne serait-ce que pour implémenter des solutions pour faciliter le télétravail ou pour muscler les plans de reprise d’activités. Pour les DG et les DAF qui seraient réticents, je vous suggère de leur faire le coup du « Oui, mais on ne peut pas prendre de risques si une nouvelle épidémie arrive… Donc il faut des budgets supplémentaires. » Depuis quelques semaines, j’adore l’expression « Quoi qu’il en coûte… »
Enfin, les DSI vont conforter leur influence dans les entreprises. Notre réputation va finir pas être au top ! Nous sommes les sauveurs qui avons su faire télétravailler toute l’entreprise, concevoir des plans de secours pour éviter toute interruption et rendre accessible aux utilisateurs toutes leurs données, avec une bonne dose de cloud. Et si, en plus, on trouve des idées d’applications pour doper le chiffre d’affaires, nous serons intouchables. Je suis convaincu qu’on ne pourra plus rien nous refuser ! En revanche, nous pourrons refuser tout ce qui ne nous plaira pas au nom de « l’intérêt supérieur de l’entreprise en cas de nouvelle pandémie » et d’un principe de précaution (hypothétique, mais il ne faut pas l’ébruiter…) qui sera notre joker pour passer notre tour et ne plus traiter des dossiers pourris. Finalement, je suis impatient de voir le retour des confinés… Nous avons enfin trouvé notre COVID : Comment Optimiser la Vie Infernale des DSI !