Qui c’est qui a la plus grosse… influence ?

Notre prochain comité de direction non-virtuel risque d’être animé. Il l’est habituellement, mais, cette fois, je pressens que cela va tourner à la foire d’empoigne. Pourquoi ?

C’est simple : après la période de confinement, chacun va vouloir s’attribuer les mérites d’un retour à la normale, en supposant, bien sûr, que l’on observe un tel retour.

Evidemment, notre DRH va certainement affirmer que c’est grâce à elle, ainsi qu’à son talent pour organiser le télétravail et motiver les troupes, tentées de lever le pied par rapport au rythme de travail habituel, que l’entreprise a pu survivre. « Notre plus grande richesse, ce sont les femmes et les hommes qui œuvrent au service de notre organisation », ne manquera-t-elle pas d’arguer pour justifier sa position. Le DAF va indiscutablement argumenter pour démontrer que c’est grâce à lui et à son habileté légendaire pour gérer la trésorerie que l’entreprise a tenu le choc. « Notre plus grande richesse, c’est le cash-flow, sans qui rien n’est possible », plaidera-t-il.

Le patron de la logistique prouvera que, manifestement, c’est grâce à lui que l’entreprise est toujours debout : « Notre plus grande richesse, c’est de pouvoir livrer nos clients en temps et en heure », soutiendra-t-il pour se prévaloir de son importance dans l’organisation. La directrice marketing objectera assurément que c’est son action qui a maintenu l’entreprise à flots, avec de multiples actions pour conserver l’attention chez les clients et les prospects qui, sans cela, n’auraient pas hésiter à préférer nos concurrents : « Notre plus grande richesse, ce sont nos clients et nos futurs clients », mettra-t-elle en avant.

Le directeur commercial en rajoutera une couche, louant ses efforts quotidiens pour maintenir une expérience client au top, propulsée, elle aussi, comme « notre plus grande richesse », cela va de soi. La directrice de la communication mettra en avant, indubitablement, le maintien de la réputation de l’entreprise, son engagement sociétal et ses actions de solidarité. « La responsabilité sociale et environnementale est la plus grande richesse d’une entreprise », répétera-t-elle. Le directeur juridique n’aura de cesse, lui aussi, de démontrer que, sans lui, nous aurions connu un véritable chaos. « Vous n’imaginez pas tous les clients, fournisseurs et partenaires qui ont tenté de remettre en cause leurs engagements, mais j’ai tenu bon, car la véritable richesse de notre entreprise, c’est la sécurité juridique pour garantir sa pérennité. »

Sans conteste, le responsable des services généraux justifiera son importance par le fait qu’il a maintenu en conditions opérationnelles les bureaux et les unités de production. J’espère qu’il ne nous fera pas le coup du : « La richesse de l’entreprise tient à tous ceux qui arrosent les plantes vertes dans des bureaux désertés pour éviter une véritable hécatombe végétale, vident et dégivrent les frigos et stockent le courrier, qui contient beaucoup de chèques en règlement de nos factures. »

Evidemment, le patron de nos usines de Vatexibé-sur-Seine et de Mézidon-Danlmil ne sera pas en reste pour vanter la résilience de nos opérations de production. Grâce à lui, nos machines ont continué de tourner, nos fournisseurs de nous approvisionner et nos transporteurs de livrer. « La grande richesse, etc, etc… ». Oui, on sait, c’est le tissu productif. Question « richesse de l’entreprise », sans aucun doute, le Chief Digital Officer tentera de nous expliquer que ce sont les données et le digital. « Comment peut-on imaginer que ce qui est considéré comme le pétrole du XXIème siècle ne constitue pas la vraie richesse de l’entreprise ? » Là, je suis quand même d’accord avec notre CDO, pour une fois…

Quand viendra mon tour, je ne manquerai pas de rappeler à mes chers collègues que leurs activités respectives seraient réduites à néant sans un système d’information performant. Ce n’est pas que je veuille absolument la ramener, mais, cette fois, je compte bien recadrer tout le monde. Et s’ils ne me croient pas, je leur proposerai de couper tous nos serveurs pendant trente minutes, juste pour voir qui me suppliera le plus fort ! Avant que notre DG, qui exige de toujours avoir le dernier mot, nous explique que, finalement, c’est lui, grâce à sa vision stratégique, à son leadership affirmé, à ses intuitions infaillibles, à sa clairvoyance reconnue par ses pairs, à sa hauteur d’esprit, à ses talents diplomatiques pour embobiner nos actionnaires, qui nous a tiré de ce pétrin sanitaro-économique.

Au final, il est probable que l’on sera au même point qu’avant le confinement, chacun restera sur ses positions. Tout le monde aura en effet très bien respecté le confinement managérial : « Restez chez vous et ne sortez pas de vos idées préconçues ! »