L’émission de TF1 n’avait pas suffi ! Voilà que les cabinets de conseil s’y mettent… À quoi ? À un concept simple : « Vis ma vie », autrement dit échanger son emploi, temporairement, je vous rassure, contre un autre. En parcourant le Web, j’ai vu qu’un cabinet de conseil du nom de Kurt Salmon promeut cette approche comme outil de management.
Que nous expliquent ces doctes consultants ? « De nombreuses entreprises ont transformé le concept de l’émission de télévision en véritable outil de management en instaurant un reversal day, une journée durant laquelle les collaborateurs sont amenés à partager le quotidien de leurs collègues. » Mieux, nous explique-t-on : « Ces initiatives sont largement bénéfiques. Elles permettent de renforcer le sentiment d’appartenance des employés, de leur faire découvrir la diversité des métiers de l’entreprise, et de développer l’esprit d’équipe et la communication interne, tout en offrant une image positive à l’extérieur. » Bref : « Un concept ludique qui trouve toute son utilité dans le domaine des systèmes d’information. Besoins mal exprimés, outils informatiques mal acceptés, incidents mal traités : les écueils des projets SI sont souvent causés par une fracture entre équipes « métier » et « IT », que le concept du « Vis ma vie » peut contribuer à résorber. »
Sympa comme approche, non ? Vous me connaissez, j’aime le risque et j’ai voulu tenter l’expérience. Cela dit, inutile de demander à notre DG, il aime trop sa place, le salaire et les honneurs qui vont avec… J’ai demandé à notre DAF, Edgard Tadukash, mais il n’était pas chaud. Entre nous, je ne souhaitais pas vraiment qu’il vienne s’incruster dans la DSI, nous lui cachons quand même quelques éléments budgétaires pour conserver une partie de notre autonomie. Le patron de la logistique voulait bien tenter l’expérience mais pas avant l’année prochaine tellement il est à flux tendus. Quant à la DRH, Françoise Plansoc, si elle approuve l’idée « pour renforcer la cohésion du management », elle ne veut à aucun prix que l’on mette le nez dans la grille des salaires et autres menus avantages annexes dont bénéficient certains. J’ai donc échangé mon job de DSI, pendant une semaine, contre celui de notre directeur marketing, Julien Sponss-Aurizé. Lorsque, pour commencer, j’ai demandé à voir la liste des fournisseurs et, pour chacun, ce qu’ils font pour nous et combien ça coûte, on m’a regardé d’un air étonné. « On a l’info, mais on n’a jamais trouvé le temps de consolider », m’a-t-on rétorqué. Je n’ai donc pas osé demander les business cases des projets réalisés par lesdits fournisseurs. J’ai aussi participé à des réunions sans pouvoir, malgré mes efforts, déterminer à quoi elles servaient, reçu des agences de communication qui m’ont abreuvé de slides sur « la stratégie digitale » et le « brand content »…
Selon les consultants défenseurs du « Vis ma vie », pour les DSI « l’enjeu est de leur faire prendre conscience de l’impact de leurs décisions et de leurs actions sur le travail quotidien de leurs collègues et pour les métiers de démystifier le SI tout en mettant le doigt sur sa complexité. »
– Alors, ai-je demandé à mon collègue, notre SI est-il démystifié dans ton esprit ?
– Heu… pas vraiment. Je pensais que votre boulot était d’un ennui mortel, je ne me suis pas trompé.
– Pourquoi ?
– Vous avez trop de processus, pour initier un simple projet il faut un business plan et travailler avec des fournisseurs référencés ! On passe son temps à remplir des feuilles Excel. Et tes collaborateurs parlent techno en permanence, ca devient pénible au bout de deux jours. Et quand je leur demande s’ils ont compris les besoins métiers du marketing, ils me répondent que Powerpoint, Illustrator, Photoshop et Excel suffisent largement pour « produire du vent ».
Je me suis abstenu de lui rétorquer que ce n’est pas tout à fait faux et qu’au marketing ils n’ont jamais daigné répondre à nos suggestions d’utiliser un vrai outil de CRM prédictif pour l’analyse des ventes (« trop cher… »), une base de données produits digne de ce nom (« trop compliqué… ») et une gestion commerciale digne de ce nom (« pas utile… »). Bref un véritable système d’information marketing. Je l’ai su par la suite, mon cher collègue a été très impressionné par notre outil de gestion de portefeuille de projets, par notre système de référencement et de notation de nos fournisseurs, par notre processus d’élaboration des business cases et par la motivation de nos équipes de support… Mais il ne l’avouera jamais, selon le principe de base de tout bon marketeur qui consiste à toujours cacher une partie de la vérité… En attendant d’échanger nos jobs de façon plus durable, j’ai suggéré à Julien Sponss-Aurizé de mettre un peu de technologies dans son marketing et, de mon côté, je vais verser une dose de marketing dans notre système d’information.