Business intelligence… Ce terme fait plutôt sourire. Pourtant, il est pris très au sérieux : la direction générale de Moudelab & Flouze Industries, l’entreprise dans laquelle j’exerce mes talents de DSI depuis maintenant sept ans, s’est mis en tête que c’est l’avenir : « La corporate performance de notre groupe en dépend, qu’en pensez-vous ? » m’a un jour demandé Pierre-Henri Sapert-Bocoup, notre Président. Que pouvais-je répondre ?
Que de nouveaux projets dans ce domaine allaient chambouler nos plannings de livrables, déjà bien encombrés avec la refonte de la chaîne logistique, elle aussi imposée par la direction générale au titre de contributrice essentielle à la « corporate performance du groupe » ? Que nos budgets déjà serrés allaient devoir être « optimisés » (en clair, sabrés) pour faire de la place à la BI (prononcez « Bi-Aïe » pour faire moderne). Que les directions métiers auraient à leur disposition un superbe outil (quitte à faire de la Bi-Aïe, autant multiplier les fonctionnalités pour être tranquille quelques années) qu’elles n’utiliseraient sûrement pas ?
Ce n’est pas tant l’aspect budgétaire qui m’inquiète, mais surtout le fait que nous allons tomber dans un cercle vicieux. Comment celui-ci se manifeste-t-il ? Ce n’est pas spécifique à la Bi-Aïe, on le retrouve dans tout type de projet système d’information qui se respecte (du moins à la DSI, ailleurs c’est quelquefois plus aléatoire question respect du boulot des hommes de l’art que nous sommes…). J’ai ainsi identifié les différentes étapes de ce cercle vicieux, qui se traduisent par plusieurs syndromes.
Le premier syndrome est celui de Cendrillon. Comme pour tout nouveau projet, les utilisateurs, poussés par leurs managers, eux aussi enthousiastes, se mettent à rêver à tout ce qu’ils vont pouvoir faire avec le nouvel outil de Bi-Aïe. Hélas, quand minuit sonne (ou, dans nos métiers, quand le logiciel est mis en production, ce qui est moins romantique raconté comme cela), ils déchantent. Le carrosse tout en cubes décisionnels se transforme souvent en vieille carriole qui rame et transbahute quantité de données inutiles et de bogues qu’on ne peut même pas jeter par-dessus bord…
Second syndrome, lorsque les utilisateurs formulent leurs besoins : celui du touriste moyen qui applique le principe du « je-paie-donc-j’ai-droit ». Puisque la direction métier finance (Ah, les bienfaits de la refacturation interne…), les utilisateurs réclament un outil superpuissant… pour hier ! A charge pour nous de nous bagarrer pour l’intégrer aux systèmes existants. Et lorsque les chefs de projet leur conseillent d’y aller doucement sur l’abus de fonctionnalités, on tombe dans le syndrome du « petit chef » : celui qui n’y connaît rien et qui se mêle de tout.
Lorsque les utilisateurs découvrent que le projet sera plus long que prévu, c’est le début du syndrome du chef de chantier, bien connu dans le milieu du bâtiment : les délais doivent être multipliés par trois et les coûts par cinq. Ils n’aiment pas, même si nous avons tous les arguments pour le démontrer. Et bien sûr, ils s’impatientent, d’où le syndrome du RER B, jamais à l’heure, toujours menacé par des avaries, mais on ne sait jamais dans quelles proportions. Quand les premières fonctions arrivent en recette, les utilisateurs sont alors confrontés au syndrome de « l’otage presque libéré grâce à son comité de soutien » : l’espoir renaît. Mais pour une courte durée…
Lorsque les utilisateurs commencent à se servir de l’application, survient le syndrome du boucher : « Il y a un peu plus, je vous le laisse ? ». De toute façon, tout comme l’estimable commerçant ne va pas recouper sa viande, la DSI ne va pas reconfigurer l’application pour enlever les fonctionnalités devenues inutiles parce que les utilisateurs l’ont décidé… Et qu’ils n’utiliseront pas. Bonjour les surcoûts !
Lorsque tout est à peu près stabilisé, arrive le syndrome du bricoleur du dimanche : l’utilisateur va développer dans son coin qui un tableau Excel, qui une mini-base de données, histoire de triturer les informations selon ses besoins. Un vrai casse-tête pour ceux qui prennent la suite !
Reste enfin le syndrome de l’enfant gâté. Celui-là est le plus redoutable : il consiste à jeter une version de logiciel pour se payer la toute dernière. Hélas, dans la business intelligence, l’intelligence n’est toujours pas livrée en standard.
Image par mohamed Hassan de Pixabay