Cahier décharge

– Peut-on inscrire notre nouveau besoin au cahier des charges de l’application CRM (Comment Ramener la Monnaie) ?
Encore… ! Cela ne fait que la quinzième fois que la direction marketing me demande, que dis-je, exige, que les évolutions de ses besoins soient prises en compte « dans les meilleurs délais ». Pourquoi ? Parce que la direction marketing est l’une des directions métiers les plus consommatrices de nouveaux projets.

Ils veulent toujours lancer de nouvelles offres pour tacler la concurrence. Pourtant, sur notre marché, la pièce détachée industrielle, nous ne sommes pas dans les télécoms où les opérateurs lancent des dizaines de nouvelles offres chaque année, et autant de changements dans le système d’information.

Mais, depuis que notre Président, Pierre-Henri Sapert-Bocoup, a lu dans la Industry Buzinaisse Reviouve que les meilleures entreprises se différencient par le rythme de lancement de nouveaux produits, le marketing ne nous lâche plus. Nous avons déjà mené à bien l’application BUSE (Business Utile Sans Effort) pour renforcer nos liens avec nos revendeurs, le projet RACLURE (RAttrapage des CLients Usés par des Relances Excessives) pour fidéliser nos consommateurs et le projet DUCON (Développement Unifié du Commerce On-line Nouveau) pour vendre encore plus sur le Web. Sans oublier le projet BLAIREAU (Benchmarking Limité À l’Informatique RÉpartie Aux Utilisateurs) pour vérifier si les utilisateurs de la direction marketing sont bien équipés.

À chaque fois, il a fallu supporter d’incessants « stop and go » que l’on aurait aimé appeler « stop and stop » ou « stop and go voir ailleurs si j’y suis ! ». Mais, tant bien que mal, nous avons mené à terme tous ces projets, stratégiques comme il se doit. Aujourd’hui, mes équipes doivent se débattre avec l’application CRM. Au lieu de « Comment Ramener la Monnaie », ils auraient dû la baptiser « Casser les Roubignoles à la Maîtrise d’œuvre »… Mais je m’égare dans des considérations personnelles et l’on nous a toujours appris, à l’école supérieure de formation des DSI (je sais, ça n’existe pas…), qu’il ne fallait pas mélanger le SI et l’affectif. Il n’empêche : nos amis du marketing changent d’avis tous les jours sur ce qu’il convient d’intégrer ou pas au cahier des charges de l’application CRM. Comme nous n’avons pas vocation à mobiliser l’essentiel de nos ressources pour un seul client interne et à passer des heures dans des réunions interminables et peu productives, j’ai créé un nouvel outil pour la gestion de projet : le cahier décharge.

Il s’agit d’un petit cahier qui ne me quitte pas et dans lequel je note tout ce que les directions métiers demandent à la DSI et que nous ne souhaitons pas réaliser, parce que c’est souvent irréaliste, infaisable dans les délais, trop cher, trop consommateur de réunions… Phonétiquement, nos clients internes n’y voient que du feu lorsqu’on leur affirme que nous prenons en compte leurs desiderata dans notre cahier décharge…. Et cela me permet d’accéder à toutes leurs demandes :
– Pouvons-nous intégrer au cube décisionnel un tri croisé multicritérisé à redondance volumétrique préparamétré en temps réel ? m’a demandé hier notre directeur marketing.
– Pas de problème, j’intègre derechef cette nouvelle fonctionnalité intéressante dans le cahier décharge.

Et que dira-t-il lorsque cette fonctionnalité, impossible à réaliser, ne sera pas intégrée à son application ? Je ne sais pas encore. Mais je prends le risque et maintiendrais mordicus que tout cela faisait bien partie du cahier décharge. Il n’avait qu’à comprendre la nuance. Et s’il insiste, je réaffirmerai notre attachement à participer activement à l’effort de tri sélectif des projets…