On va y avoir droit, si ce n’est déjà fait. Tous les experts vont se mettre à nous asséner leurs prédictions pour 2014. On les voit venir, les cabinets d’analystes et les fournisseurs qui ont commandé à prix d’or des études… Les prévisions peuvent être classées en deux catégories : les optimistes et les pessimistes.
Pour les optimistes, tout augmente : les ventes et les usages de n’importe quoi, le taux d’adoption de quantités de technologies, la numérisation de tout ce que l’on peut imaginer et au-delà… Pour les pessimistes, tout va aller forcément plus mal. On trouve dans cette catégorie, bien sûr, les fournisseurs de solutions de sécurité, mais aussi tous ceux qui ont du mal à finir leur trimestre fiscal et qui doivent mettre en exergue le fait que les entreprises sont en retard sur tout : l’adoption du cloud computing, du big data, de la dématérialisation, le télétravail, l’open source, le BYOD, le marketing, le collaboratif… Ce sont ceux qui ont adopté comme devise : « Le plus dur, quand on a pas assez de clients, c’est la fin du trimestre fiscal. Surtout les 90 derniers jours… », comme disait Coluche, préfacier du best-seller C’est l’histoire d’un mec qui devient directeur commercial (Editions du Dépassement perpétuel). A croire que les DSI n’ont vraiment rien fichu et ont dépensé leurs budgets pour se dorer au soleil…
Mais comment fabrique-t-on ces prévisions ? Si un jour, vous êtes viré et que vous devez vous reconvertir chez un fournisseur ou dans un cabinet d’études avec pour mission de concocter des prévisions, je vous livre, en dix leçons et à partir de cas réels, les techniques qui font mouche. Du moins en principe…
Leçon 1 : proposez des chiffres invérifiables, histoire d’impressionner. Exemple : « La base installée d’objets connectés atteindra 26 milliards d’unités en 2020. » Bien malin celui qui ira compter, on ne trouvera jamais de volontaire pour se lancer dans ce chantier… qui, de plus, ne sert à rien.
Leçon 2 : prolongez les tendances que tout le monde connaît, sans risque d’un retournement. Exemple : « En 2014, le niveau d’engagement des responsables informatiques vis-à-vis des métiers sera plus élevé », affirme un éditeur. C’est sûr, on ne devrait pas revenir en arrière…
Leçon 3 : affirmez une évidence. Exemple : « Les dirigeants s’estiment peu préparés aux défis de demain », affirme un grand cabinet de conseil en stratégie. Comme on ne connait pas les défis de demain (on a du mal à s’occuper de ceux d’aujourd’hui), une telle expression sera toujours vraie. Vous ne serez jamais démenti.
Leçon 4 : affirmez que vous avez vu des trucs que les autres n’ont pas remarqué. Exemple : « Le potentiel caché des technologies de collaboration. » Là, vous pouvez faire le malin en proposant un scoop ! C’est quoi, ce potentiel caché ? Le fait que 70 % des entreprises utilisent des médias sociaux, mais que seuls 3 % en tirent bénéfice. En fait, on n’en sait rien, mais on peut toujours l’affirmer, surtout s’il faut conclure que le collaboratif constitue une « huge opportunity » pour vendre plus de solutions.
Leçon 5 : ne tenez pas compte des marges d’erreur dans les statistiques. Exemple : « Deux tiers des décideurs de ministères, agences de l’Etat et autres organismes publics reconnaissent que les projets numériques qu’ils conduisent sont sources de bénéfice. » Comme seulement 40 personnes ont été interrogées, la marge d’erreur est de l’ordre de plus ou moins quinze points.
Leçon 6 : retenez ce qui vous arrange, dans un « 50-50 ». Exemple : « La moitié des entreprises n’ont pas de véritable stratégie open source en 2013. » L’autre moitié doit en avoir une, quand même. On conclura ce que l’on veut… et son contraire. Autre exemple : « 45 % des entreprises françaises n’ont toujours pas de politique d’utilisation des terminaux mobiles. » Heureusement, on peut supposer que les 55 % qui restent ont fait quelque chose…
Leçon 7 : insistez sur des éléments évidents. Exemple : « Le nouveau visage des datacenters sera façonné par la connectivité et les réseaux de télécoms. » Bon, c’est sûr, un datacenter qui n’est connecté à rien, qui n’a aucune prise réseau, ne servira pas à grand-chose.
Leçon 8 : montrez que vous surfez sur les tendances du moment. Exemple : « Une nouvelle étude révèle que 97 % des dirigeants accordent une importance essentielle à la transition vers le modèle de l’entreprise connectée aux réseaux sociaux. » Comme le DG qui va dire le contraire passera pour un demeuré… Au fait, on a les noms des 3 % d’ignares ?
Leçon 9 : donnez dans le spectaculaire. Exemple : « Entre mars 2012 et mars 2013, les menaces visant les appareils mobiles avaient bondi de 614 %, le nombre d’applications malveillantes étant passé de 38 689 à 276 259. » Vrai ou pas, ça aide à vendre des antivirus…
Leçon 10 : affirmez n’importe quoi. Exemple : « Comme le budget reste primordial, un retour sur investissement de 189 % est nécessaire pour passer outre le risque perçu et démarrer un projet. » C’est sûr, avec un ROI pareil, on n’est pas arrivé…
Au prochain Codir, lors de votre présentation pour obtenir des budgets supplémentaires, vous pouvez appliquer facilement ces principes, par exemple : proposez des chiffres invérifiables, histoire d’impressionner (« Notre besoin de stockage représentera 54,4712 To, vous vous rendez compte ? »), prolongez les tendances que tout le monde connaît pour affirmer votre vision (« En 2014, nous allons renforcer la synergie avec les métiers »), affirmez une évidence (« Les utilisateurs ont besoin d’être sensibilisés »)… Evitez quand même d’affirmer n’importe quoi. Sauf si la maturité de votre Codir est proche du zéro absolu !