Ça y est ! J’ai reçu mon cadeau de Noël. Un plein camion d’études de marché pour m’aider, en 2013, à prendre les bonnes décisions. Je ne mens pas, et pour ceux qui ne me croient pas, j’ai même pris la photo du camion qui est venu me livrer et qui s’est garé, comme il se doit, sur un emplacement réservé aux livraisons, au milieu de notre parking.
Tous les ans, avec les queues de budget que me laisse mon DAF, je me commande tout ce qui se publie comme études de marché, études de ce qui n’a pas marché et autres analyses et pensées profondes d’experts en tout genre. Le tout en version papier : d’où le camion…
À quoi ça sert, me direz-vous, de faire venir spécialement un 35 tonnes ? D’abord, j’adore le support papier. Surtout, c’est comme une sorte d’assurance : n’importe quelle décision, fût-elle la plus iconoclaste, la plus farfelue, la plus décalée, voire la plus débile, est toujours justifiée par une étude de marché. C’est mon principe de management et tant pis pour ce que ça coûte. Et ça coûte…
Et lorsque que l’on me demande pourquoi la DSI s’est orientée dans telle ou telle direction, je sors l’étude ad hoc, qui colle parfaitement avec ce que je veux faire. Cette idée m’est venue lors de l’étude d’opportunité de notre ERP, lorsqu’il a fallu justifier du retour sur investissement. J’avais commandé, auprès de nos chers consultants de notre cabinet préféré, Meyer Sénou Lémeyer, l’étude qu’ils avaient publiée et qui montrait que le retour sur investissements de ce type d’usine à gaz n’était pas évident à calculer, et encore moins à obtenir en moins de quinze ans.
Je me suis aperçu, lors de la réunion d’arbitrage, que mon DG avait, lui aussi, commandé une étude auprès du même cabinet, et qui montrait que le retour sur investissement se calculait très facilement et qu’en moins de trois ans, les bénéfices seraient au rendez-vous. Deux études discordantes sur le même sujet ? Je me suis enquis du pourquoi du comment auprès du commercial à chaussures pointues. « C’est simple, m’expliqua-t-il. Cela permet de vendre deux fois, voire trois fois, la même étude : une fois au DSI, une fois au DG, voire une autre fois à une direction métier. On change la conclusion, on inverse quelques paragraphes, on triture quelques intertitres, on découpe quelques tableaux, on colorise quelques graphiques exclusifs, on adapte le titre, et on indique un auteur différent, voire plusieurs, de toute façon, des analystes, on en a plein et on les a tous nommés vice-présidents, comme ça ils la ferment, ils rabattent leur ego et le tour est joué ! »
C’était donc ça ! Depuis, je me blinde. Le premier qui vient contester mes décisions, je le renvoie vers l’un des vice-présidents de Meyer Sénou Lémeyer, en arguant que s’ils ont des récriminations, ils n’ont qu’à s’adresser aux experts qui nous coûtent un bras, voie les deux pour les senior vice presidents. Plus les jambes si l’on fait appel à un senior transversal associate wordlwide focused expert, le plus haut grade chez les consultants de Meyer Sénou Lémeyer. Et comme je leur dis combien cela coûte vraiment à l’entreprise, en général, ils battent en retraite. « Tellement d’argent, c’est sûrement pour acheter des études scientifiques incontestables », pensent-ils… Pour 2013, j’ai donc sans hésiter renouvelé mon assurance tranquillité. Je vous laisse, j’aperçois un second camion qui s’apprête à effectuer une seconde livraison et il me tarde de découvrir les nouveautés 2013…