Green de peur…

Tout comme les crises qui surviennent tous les cinq à dix ans, les bulles, elles aussi, gonflent tous les cinq à dix ans. D’ailleurs, les deux sont liées… Les premières aident les secondes à se dégonfler. à l’heure actuelle, nous avons de la chance : nous en avons deux pour le prix d’une ! La première, c’est la bulle des réseaux sociaux. Que ne nous rabâche-t-on pas avec ces réseaux sociaux !

– T’es sur Viadeo, LinkedIn ou Facebook ? Et Twitter, t’as testé ? m’a demandé dernièrement notre directeur marketing, qui, il est vrai, a quelque temps libre pour faire du relationnel. Quand un système informatique est planté, ça se voit tout de suite, quand un système marketing se plante, non seulement cela ne se voit pas, mais on pense tout de suite qu’il s’agit d’un sursaut de créativité qui ne demande qu’à éclore…
– Ben non, je suis en plein dans le schéma directeur SI, alors les réseaux sociaux, on verra ça plus tard. Un jour…
– T’es malade ! me rétorque notre bien-aimé directeur marketing, c’est l’avenir, tout le monde y est, surtout tes informaticiens…
Ah ! c’est donc ça. Je me disais que la productivité globale de mes équipes de développement et d’exploitation avait un peu diminué ces derniers temps…

Même la direction générale s’y intéresse, depuis que Pierre-Henri Sapert-Bocoup, le PDG du groupe, est allé assister à une conférence du MEDEF (Mouvement des Entrepreneurs Destiné à Enrichir leur Famille) sur les « univers virtuels, opportunités d’aujourd’hui et business de demain ». Je vois le coup arriver, même si le business des pièces détachées industrielles sur Instagram, je le vois moins : on va me demander au prochain comité de direction de m’occuper de notre présence sur ces réseaux qui font beaucoup de bruit. Pour peu que cela soit intégré dans mes objectifs semestriels, je n’y coupe pas !

La seconde bulle, c’est celle du Green. C’est désormais devenu la couleur obligatoire. Elle est imposée par la direction des achats, qui a diffusé une note de service (que dis-je, un ultimatum…) : plus question d’acheter des matériels qui ne seraient pas « green ». Même notre rapport annuel 2016 a une couverture verte.
– Nous devons montrer l’exemple, que faisons-nous en matière de Greenite ? m’a questionné notre PDG.
La Greenite (prononcer Green IT) étant, pour ceux qui ne sont pas familiers avec cette maladie, une manifestation non cutanée qui se manifeste au plus profond du cerveau sous forme de délire maniaco-dépressif. Le sujet victime de Greenite aiguë ne peut s’empêcher de demander à tout bout de champ (ça, c’est du vert bien campagnard…) quel est le bilan carbone de chacune de ses actions et, pire, des actions des autres. Et d’insister lourdement jusqu’à ce qu’on réponde à ses questions. Résultat : tout ce que nous faisons doit faire l’objet d’un bilan énergétique. Nos notes de frais sont épluchées selon ce critère, on ne peut plus acheter les serveurs les plus avantageux en termes de rapport qualité/prix s’ils ne sont pas passés par la case Greenite de la direction des achats, et tout doit être recyclé. Chaque plat figurant dans une note de frais de restaurant est associé à son équivalent CO², qui a remplacé le nombre de calories…

Le pire, c’est que mes équipes se sont prises au jeu. C’est à qui fera le plus de bien pour la planète ! Mes quelques linuxiens-écolos ne sont pas les derniers ! Et quelques énergumènes se sont amusés à calculer le bilan carbone d’une heure de réunion projet, de la production d’un document standard de spécifications fonctionnelles, de la production d’une ligne de code ou d’un appel à la hot-line. Si encore nous avions réalisé des économies ! Avec mes nouveaux serveurs bas de gamme, mais écologiques, qui tombent en panne plus souvent, mes pénuries de papier qui font que l’on retarde des réunions le temps de trouver les stocks de secours bien cachés, et mes restrictions en déplacements (savez-vous qu’assister à un petit-déjeuner fournisseur consomme 28,25634 % de plus qu’une demi-journée de réunion projet ?), je passe plus de temps à gérer des futilités. Si encore nous pouvions joindre le futile à l’agréable, en déléguant un maximum ! Même pas : ma charge de travail augmente avec tous ces « reportings en développement durable ». Avec le Green IT, c’est l’énergie du système d’information qui diminue et celle dépensée par le DSI qui augmente ! Et c’est combien le bilan carbone d’un DSI qui passe plus de temps à des tâches inutiles ? Personne n’a songé à le calculer. Du coup, à l’occasion de nos récents travaux d’aménagement (pour réduire la consommation énergétique et améliorer l’isolation, il va de soi), j’ai fait repeindre les locaux de la DSI d’un vert du plus mauvais goût. ça leur apprendra !