Cela fait au moins la dixième fois que je lis que les DSI sont les managers les plus importants dans une entreprise. Je suis assez d’accord, mais tout le monde ne partage pas cet avis.
– Vous autres, les DSI, vous vivez dans un monde beaucoup plus stable que le nôtre, m’assurait Georges, l’un de mes amis qui exerce le métier de directeur financier dans une grande entreprise de services, venu me rendre une visite. Un métier dont il est persuadé qu’il est le plus exposé de tous dans les organisations, tant les nouvelles réglementations fiscales, comptables et de mise en conformité sont contraignantes.
– Certes, mais à côté de ce que nous vivons, le métier de DAF paraît franchement plus facile ! lui répondis-je.
– Olivier, donne-moi une seule raison pour laquelle le métier de DSI serait aussi stressant et compliqué que celui de DAF ! rétorqua mon ami, fendu d’un sourire qui laissait bien transparaître une impression de victoire.
– Je ne vais pas t’en donner une….
– Ah ! Tu vois, tu es déjà à court d’arguments pertinents !, lança-t-il, l’air assuré du triomphateur.
– … mais au moins dix !
Je commence à lui expliquer que je n’ai aucune visibilité dans les technologies à venir. Du mainframe au Web 2.0, toutes les vagues technologiques ont été très perturbantes et leurs effets se cumulent. Pire, les périmètres que je dois couvrir se métamorphosent à vue d’œil ! Fusions-acquisitions, implantations dans de nouveaux pays, nouveaux produits… Tout cela impose une reconfiguration permanente des SI.
– Quant à nos équipes, elles ont la bougeotte, ajoutai-je. Il est déjà difficile de recruter les meilleurs ingénieurs, mais la pénurie actuelle de ressources complique bien la vie. Les sociétés de services et nos concurrents ne se privent pas de puiser dans notre vivier de talents !
– Dans la finance, c’est pareil. Cela fait six mois que je cherche un spécialiste de la norme XBRL !
– Sans oublier que nous devons en permanence adapter nos systèmes d’information au gré des changements de stratégie des directions générales, poursuivis-je. Et nos utilisateurs ! Ceux des nouvelles générations, nés avec les PC, le mobile, les réseaux sociaux, les consoles de jeu et Internet nous challengent en permanence pour que les systèmes d’information soient « plus funs, plus compétitifs » et s’adaptent à eux. Je préférerais l’inverse !
– Moi aussi. Je te rappelle que ce sont les DAF qui, in fine, règlent les factures, précisa mon ami Georges, un brin vexé.
– Quant à nos fournisseurs, ils se concentrent à la vitesse de la lumière ! Comment prévoir qui va racheter qui dans six mois ou un an ? Sans oublier mes projets, tous stratégiques, bien sûr ! Ceux qui arriveront à leur terme seront immanquablement bouleversés par un changement dans la stratégie produit ou commerciale. Ou les directions métiers auront « oublié » de demander telle ou telle fonctionnalité. Bien sûr indispensable…
– Nous, les DAF, devons maîtriser quantité de concepts qui se cachent sous des sigles : MSI 20000, IFRS, IAS, XBRL…
– Même pas peur ! Nous, on doit en digérer des quantités bien plus importantes : ISO, Cobit, CMMi, Itil, Togaf, Cisq, OGC, OPM… Á chaque année sa nouvelle méthodologie que l’on doit appliquer sous peine de passer pour ringard ! Et l’on doit être « compliant » dans toutes les couches du système d’information.
– Ah ? Toi aussi tu dois être « compliant » ? Je ne l’imaginais pas à ce point. Bienvenue au club, me lança Georges, découvrant avec émotion qu’il n’est pas le seul à supporter le lourd fardeau que nos législateurs nous imposent.
Nous sommes finalement tombés d’accord : toute la difficulté de nos métiers respectifs ne vient-elle pas des juristes et autres « standardisateurs » qui nous obligent à respecter des tas de principes pas toujours très pertinents ?
– Si un jour je croise les duettistes Sarbanes & Oxley, je ne suis pas certain de me retenir de leur envoyer un bon coup de boule dans le reporting ! m’annonce mon collègue DAF.
– Mets-en un de plus, avec mes compliments, lui suggérai-je.
Notre discussion s’est arrêtée au moment où le directeur juridique pointait son nez dans le couloir.
– Alors, quoi de neuf ? lui ai-je demandé.
– Pfff… j’ai du boulot à n’en plus finir, nous avons un métier tellement difficile : heureusement que nous sommes reconnus, nous les juristes, comme des managers stratégiques pour l’entreprise !
Il n’a pas compris ce qui a déclenché notre éclat de rire…