Je (dé)capitalise

« Il est urgent d’envisager les moyens de décapiter le système d’information ». La note produite par notre direction financière à l’attention de la direction générale, et d’elle seule, m’a fait bondir. Grâce à une bonne âme au sein de la DAF, j’ai eu accès à ce document pour le moins provocateur. Comme quoi, pour un DSI, disposer d’une taupe dans les endroits stratégiques de l’entreprise, et la direction financière en est un, se révèle bien utile. J’ai relu au moins trois fois cette phrase qui signe l’arrêt de mort de la DSI : décapiter… Le mot est fort, et même cruel. Qu’ai-je donc fait pour mériter un tel châtiment ? Surtout qu’il est formulé par le DAF : s’il y a bien un manager qui n’y connaît pas grand-chose à notre système d’information, c’est bien lui !

Il m’a fallu réagir. J’avais trois solutions : ne rien dire et attendre que le couperet tombe, sans oublier de refaire mon CV et d’acheter des timbres pour faire un envoi en masse à tous les chasseurs de têtes. Deuxième solution : débouler dans le bureau du DAF en le sommant de s’expliquer sur ces méthodes terrorI.S.tes. Troisième solution : attendre le prochain comité de direction afin de prendre à témoin tous les autres membres de cette docte assemblée. Et démissionner avec fracas, histoire de finir en beauté ! J’avoue que cette approche a eu ma préférence. Le jour dit, j’ai essayé de ne rien montré de mon agacement, pour ne pas dire plus. J’avais vu que l’ordre du jour mentionnait un point sur la stratégie système d’information. « Cette fois, il y a récidive, mon compte est bon ! », me suis-je dit.

– Concernant notre stratégie système d’information, je suggère une mesure que nous n’avons pas encore exploitée, se lance Goldman-Birstern, notre directeur financier.

J’attends la suite.

– Mais avant, je tiens à signaler que dans les documents qui vous ont été remis une coquille est restée : il fallait lire décapitaliser au lieu de décapiter, rectifie-t-il, notre correcteur orthographique a fait des siennes ! Toutes mes excuses à Olivier.

Notre DAF explique alors que pour redonner des couleurs à notre trésorerie, il suggère que nous insistions davantage sur le Saas et l’infogérance d’une partie de nos infrastructures. « Cela évite d’immobiliser des capitaux et de mieux gérer nos charges dans le temps », précise-t-il. Cela tombe bien : cette stratégie a mes faveurs et je comptais proposer quelques mesures lors du prochain Codir.

– J’avais rectifié de moi-même, lançai-je, avec un grand sourire, ajoutant, mais en pensée seulement : « La prochaine fois, c’est toi que je rectifierai de moi-même ».