Jusqu’où s’arrêteront-ils ?

Nos entreprises regroupent des milliers de surfeurs. Pas ceux qui se mouillent pour affronter des vagues… Non, ceux qui passent leur temps à utiliser les outils que l’on met à leur disposition à des fins personnelles.

Une récente étude publiée par Olféo nous apprend ainsi que le problème s’aggrave : 59 minutes par jour et par employé est le temps moyen de l’utilisation d’Internet à des fins non professionnelles en 2010. Soit les deux tiers du temps passé sur Internet. C’est presque deux fois plus qu’en 2006 ! Si on ramène ce temps à l’année, cela représente environ 29,5 jours. Ou presque trois jours par mois. L’étude évalue à 14 % la chute de productivité due à l’usage privé d’Internet au bureau. Et nous dresse même le parcours type du tire-au-flanc surfeur : de 8 h 00 à 10 h 00, il consulte les sites d’actualités, les webmails et les réseaux sociaux. De midi à 15 h 00, il consulte les sites de divertissement et de détente, tels que ceux qui permettent de regarder des émissions de télévision, d’écouter de la radio ou de jouer en ligne. Et de 17 h 00-18 h 00, il consulte les sites de service : météo, trafic, pages jaunes, et encore de divertissement. Et le reste du temps, il fait quoi ? On peut espérer qu’il travaille…

Il suffit d’éditer la liste des url les plus consultées dans n’importe quelle entreprise pour constater que l’effacement de la frontière entre l’informatique privée et l’informatique professionnelle est une réalité. Chez Moudelab & Flouze Industries, ce sont les sites de YouTube et de Facebook qui arrivent en tête, suivis de près par la météo et les sites de réservation de voyages et de séjours privés. Et l’on a vu croître l’usage des sites de poker et des sites pornographiques depuis quelques mois. À croire que nos collaborateurs pensent déjà aux vacances et cherchent à les financer en espérant une quinte flush royale.

Devant une telle désinvolture, il était de mon devoir de mettre en place les mesures qui s’imposent. La DSI n’est-elle pas garante de l’élévation de la productivité ? Si quelqu’un avait la mauvaise idée de comparer la courbe d’évolution de mon budget systèmes d’information (à la hausse) et celle de la productivité (à la baisse), on ne manquerait pas de conclure que plus l’entreprise investit dans les technologies de l’information, plus la productivité baisse. Et en déduire que je ne sers à rien.

J’ai donc mis en place les outils pour bloquer la consultation de certains sites. J’ai commencé par les plus sulfureux qui sont devenus, du jour au lendemain, inaccessibles. Évidemment, personne n’est venu se plaindre ! On imagine mal, en effet, nos utilisateurs réclamer, et surtout justifier, un accès illimité à des sites XXX ou des jeux en ligne. La seconde étape a consisté à ralentir considérablement la connexion aux sites eux aussi populaires de partage de vidéos et de téléchargements. J’ai eu quelques remontées, signalant que les temps de réponse semblaient se dégrader quelque peu.

Hélas, cette politique un peu plus répressive a fait long feu. Notre bien-aimé Président, Pierre-Henri Sapert-Bocoup, m’a fait part, lors d’un entretien en tête-à-tête, de son inquiétude.

– Comment savez-vous que nous avons mis en place cette politique de filtrage des sites ? lui demandé-je. Nous n’en avons jusqu’à présent jamais parlé et il s’agit juste d’un ajustement technique, le comité de direction n’a pas besoin de délibérer sur ce point.

– Vous avez raison, mon cher Séhiaud. Disons que l’on m’a remonté certaines, heu… difficultés à se connecter à Internet. C’est gênant, vous ne trouvez pas ? Vous comprenez, vis-à-vis de nos collaborateurs, on ne peut pas leur enlever cette liberté. Je suis pour l’épanouissement de tous dans le travail…

– Hmm, me suis-je contenté de lui répondre. Je vais faire le nécessaire.

J’ai appris par la suite, en éditant la liste des sites consultés depuis son poste de travail, que Pierre-Henri Sapert-Bocoup n’était pas le dernier à jouer de temps en temps dans des casinos en ligne et à consulter les sites de rencontres. Que voulez-vous, un riche entrepreneur célibataire avec un portefeuille bien garni, il en profite…