Il n’y a pas si longtemps, le slogan « Place aux jeunes ! » aurait pu nous laisser indifférents, voire nous faire sourire, tant nous étions certains de ne pas être concernés. Après tout, n’avons-nous pas une solide expérience des technologies de l’information, pour en avoir intégré les différentes vagues qui ont déferlé sur nos organisations depuis les années 1980 ?
Et ne sait-on pas mieux que quiconque ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour qu’un système d’information fonctionne au mieux ? Selon le principe bien ancré dans l’esprit de nombreux DSI : « Ce qui est bon pour la DSI est bon pour l’entreprise. »
Hélas, aujourd’hui, la mode est au « dégagisme », comme nous l’a montré la dernière élection présidentielle. C’est sûr, à plus ou moins long terme, cet engouement pour se débarrasser de tout ce qui s’apparente à une époque pas si lointaine va nous tomber dessus. Cela a commencé avec les jeunes générations de développeurs que l’on a toujours du mal à canaliser et qui ne se privent pas de critiquer nos décisions… Cela s’est poursuivi avec les métiers, qui se sont mis à avoir plein d’idées sur les usages, y compris les plus farfelus, et qui ne comprennent pas que l’on ne puisse satisfaire leurs besoins en quelques semaines avec les dernières technologies à la mode… Cela a continué de plus belle avec notre direction générale qui s’est mise en tête que le numérique allait devenir un mantra pour nos actionnaires, histoire qu’ils restent encore un peu parce que l’on a besoin de leurs sous pour construire de nouvelles usines…
Et ce n’est pas fini : depuis qu’un jeune de 39 ans, Emmanuel Nezcreu, a été fraîchement élu, pardon, nommé, au poste de Chief Digital Officer chez Moudelab & Flouze Industries, tout le monde ne jure plus que par lui dans l’entreprise. Il incarnerait le renouveau numérique, avec un slogan qu’il a propagé partout : « Le numérique doit être une chance pour tous ! » Même si on ne l’a pas attendu pour adhérer à cette idée, il passe pour celui qui a eu la révélation et a entraîné tous les utilisateurs derrière lui. De là à penser que le DSI en place depuis des années, en l’occurrence votre serviteur, n’a rien fichu et s’est contenté de gérer les affaires courantes, il n’y a qu’un pas… que beaucoup de mes collègues se sont hélas empressés de franchir ! Il va bien arriver un moment où, cernés de toutes parts par des utilisateurs en quête de nouvelles têtes, encerclés par des métiers avides de changement dans notre manière de gérer les projets, assiégés par un comité de direction qui se demandera ce qu’on fait là, nous n’aurons plus d’autre choix que de rendre les armes !
Car il ne faudra pas compter, comme dans les bons westerns, sur la cavalerie pour venir nous sauver de ceux qui veulent nous décocher leurs flèches numériques. D’ailleurs, d’où pourrait-elle venir ? Des fournisseurs ? Leur vue à court terme, les yeux rivés sur le prochain trimestre fiscal et leur mémoire de poisson rouge (sauf pour nous rappeler qu’on leur doit de l’argent) ne nous seront d’aucune utilité. De certains métiers que l’on a aidé à être plus performants parce que l’on a été réactif ? Pas sûr qu’ils soient vraiment reconnaissants, à supposer qu’ils perçoivent la valeur que l’on a créée. De notre direction générale ? Encore moins, si elle peut remplacer un vieux DSI qui coûte un peu cher par un jeune DSI qui travaillera plus pour gagner moins et échappera (temporairement) à une image de vieux croulant ringard. De tous les DSI qui sont confrontés à la même situation ? C’est probablement la piste la plus prometteuse pour faire entendre notre voix.
Il nous restera à créer le parti « Avant-d’être-parti ». Il faudra trouver un nom, mais on aura le choix, entre « La DSI insoumise », « On marche encore ! », « Debout la DSI ! », « Une volonté pour la DSI », « Lutte informatique », « Parti Social IT » ou « Solidarité et progrès technologique »… Quant au programme, il regroupera quelques mesures phares pour nous maintenir dans notre poste : suppression d’au moins 500 000 lignes de codes et de l’ISF (Impôt Sur les Fonctionnalités), création d’un budget universel minimum pour les projets, instauration de quotas de développement offshore, réduction drastique de la dette technique, baisse des charges de travail des chefs de projet, abolition du non-cumul des mandats entre DSI et CDO, investissements massifs en sécurité, autorisation de la procréation applicative et du mariage entre Open Source et logiciels propriétaires… Sans oublier un référendum sur le « Break’s IT ». Si, avec de telles perspectives, nous ne sommes pas plébiscités pour un nième mandat, il ne nous restera plus qu’à « assumer pleinement la responsabilité de cet échec en nous retirant de la vie numérique… »