C’est la logique du monde de l’entreprise : petit à petit, le DAF devient de plus en plus proche du PDG. On nous l’a déjà abondamment expliqué à l’Ecole de Commerce, et mon expérience personnelle l’illustre. C’est la logique de l’histoire du monde de l’entreprise. Je ne vois pas qui pourrait nous subtiliser la vedette vis-à-vis des directions générales. Les DRH ? Peu ont l’envergure pour se hisser dans les cénacles des conseils d’administration, leur formation en »gestion du personnel » leur pèsera toujours. Les directeurs marketing ? Entre superficialité et sens de la girouette, en fonction des humeurs stratégico-politiques des directions générales, ils ne sont guère mieux lotis. Les directeurs de systèmes d’information ? Enfermés dans leurs technologies, ils n’ont pas l’envergure ni, avouons-le, le charisme ou, si l’on préfère, la classe pour siéger auprès de nous dans les comités de direction.
Je vois régulièrement Pierre-Henri Sapert-Bocoup. Je fais du bon travail et il m’apprécie. Depuis mon arrivée dans le groupe, il y a cinq ans, j’ai travaillé sur de nombreux dossiers d’envergure, tous stratégiques : la mise en place d’un nouveau système informatique financier, la refonte des process de reporting, l’étude sur les »cost-cutting », la réorganisation des circuits de distribution européens…
Il faut dire que j’ai été aidé : lorsqu’un projet spécifique, un challenge, est évoqué en comité de direction, je suis d’emblée volontaire. Mon père me l’a dit : « S’il faut un volontaire, lance-toi mon fils. Tu passeras pour un fayot auprès de tes collègues, mais pour un bon élément auprès de ton patron…Et c’est le patron qui te paye en fin de mois, ne l’oublie jamais. »
Et effectivement, ce n’est pas le cas de mes collègues. En général, ils baissent la tête et se mettent à feuilleter le dossier contenant l’ordre du jour. Comme si chaque nouveau projet est synonyme de malheur. Mais non, de travail supplémentaire tout au plus.
Et alors ? Moi, j’y vois avant tout une opportunité d’apprendre, de réaliser quelque chose de neuf, de me régénérer, d’éviter la routine. Tout le monde ne voit pas les choses de la même manière. Est-ce le début du renoncement ? Les premiers symptômes du début de la fin de l’ambition professionnelle ? Ou plus simplement, une forme de paresse ou de dilettantisme. On peut également y voir la manifestation flagrante du »pour ne pas avoir d’emmerdes, faut savoir baisser la tête. Il y a bien un abruti sur qui cela va tomber. Ce n’est pas les abrutis de grandes tailles qui manquent…en plus, si cet abruti se porte volontaire…c’est que du bonheur !
Dans la gestion au quotidien d’un groupe comme Moudelab & Flouze Industries, les idées et les challenges ne manquent pas. XML est une source intarissable. C’est son job, direz-vous. Homme du marketing, il génère environ trois idées à la minute, dont deux sont contradictoires. Cela ne le dérange nullement. Tous les thèmes concernant nos clients actuels et futurs, nos marchés, nos produits et services devaient, selon XML, être remis en question tous les six mois ! Son pire ennemi ? Olivier Séhiaud, le DSI. Il devient fou à chaque nouvelle idée : comment informatiser une cible en mouvement ? Il n’avait toujours pas la réponse, sauf à investir des milllions. Evidemment, il n’en est pas question, et je suis d’accord, en tant que détenteur du chéquier du groupe. Le directeur de la recherche, Pierre Emarycuri, n’est pas en reste, mais avec un langage incompréhensible pour le manager moyen. Lui se focalise soit sur les »caractéristiques endogènes et thermodynamiques » des produits, soit »sur le processus optimisé de production ». Le pire, c’est lorsqu’il mélange les deux. Il devient un alien. Nicht verstehen, no comprendo, entraver que dalle…Avec lui, on peut vraiment dire que l’on tend vers le vide absolu.
Comment mettre de l’ordre entre les délires dispendieux des hommes du marketing, les réorganisations non moins coûteuses de notre outil de production et tout le reste (heureusement, nous avons supprimé la boîte à idées dans les couloirs…sur laquelle d’ailleurs un plaisantin avait remplacé, sur la fin, »idée » par »con », au grand dam du Président.) ? Un seul moyen, selon moi : le ROI, ou return on investment. En clair : le retour sur investissement.
Oh, bien sûr, les blagues ont circulé sur radio-couloir : ROI pour Réellement Organisé par un Imbécile de la part de ceux qui n’aiment pas le concept, ROI comme Ratio Obligatoirement Insipide pour ceux qui les calculent mal ou encore Range ton Outil Inutile pour ceux qui ne comprennent pas l’enjeu du retour sur investissement. On a même eu la Reine (quelqu’un qui n’avait rien compris…), pour Ratio d’Emmerdement Intangible Non Evitable. Chaque nouvelle idée ou projet plus avancé doit passer par l’entonnoir d’un business plan formalisé avec un état précis des coûts et des bénéfices attendus. Pas de ROI, pas de projets ! Telle est la règle et Pierre-Henri Sapert Bocoup est d’accord avec moi. Si le ROI est positif à moins d’un an, on le met en chantier. Si le ROI se réalise entre trois et cinq ans, on détermine les priorités avec les autres projets, au-delà de trois ans, nous verrons plus tard…
Simple mais terriblement efficace. Tous les managers du groupe ont intériorisé ces pratiques…. C’est dire si elles sont bonnes !
Pierre-Henri Sapert-Bocoup s’est immédiatement approprié la méthode du ROI. Il est devenu fou du ROI, et ne semble plus se souvenir qui à introduit ce concept dans le groupe. Et moi, du moment qu’il a l’appropriation d’idées reconnaissante… Par contre, mes collègues, eux, ont de la mémoire, et se rappellent à qui ils doivent ce nouveau plaisir. Et si Sapert-Bocoup est devenu fou du ROI, moi je suis pour le CODIR le roi du FOU (Fâché Officiellement avec les Utilisateurs).
Ainsi va le monde de l’entreprise.