Le père Noël est une ordure

La DSI, pendant les périodes de fêtes de fin d’année, c’est un peu « SOS détresse Amitié », comme dans le film devenu culte « Le père Noël est une ordure ». Des utilisateurs téléphonent, nous devons écouter leur histoire, puis les rassurer, tout en les dissuadant de se suicider tant ils sont désabusés par les services que nous leur délivrons.

Nous faisons œuvre utile, même en dehors de ces périodes… Il y a quand même des utilisateurs qui nous aiment bien et qui sont prêts à nous faire des cadeaux. Ainsi, pour Noël dernier, plusieurs offrandes nous ont été livrées.

Nous avons un admirateur en particulier qui ne tarit pas d’éloges sur nos services. Du moins le croyais-je… Il s’agit de notre responsable des services généraux, Zadko Preskovitch (je n’invente pas, c’est vraiment son patronyme…). Il a offert, à l’équipe de la DSI, un doubitchu, gâteau issu d’une recette traditionnelle de sa région natale, un modeste village près de Stoudenitchani, en Macédoine. Cette spécialité culinaire est composée d’un mélange de cacao de synthèse, de margarine et de saccharose. Elle se déguste dans les grandes occasions.

Cela tombait bien : pour mes équipes, j’avais envisagé un pot de fin d’année. Nous n’avions rien de particulier à fêter (en tous cas pas d’augmentation budgétaire cette fois encore, je fais une croix dessus), pourtant ce mets de choix ne pouvait pas mieux tomber. Dans sa grande bonté, Zadko Preskovitch nous a également offert un kloug aux marrons, autre spécialité locale, ainsi qu’une bouteille de Chpoutz, pour faire passer le tout. Nous avons aussi récolté, de la part de Thèrèse Zézaite, de la direction des ressources humaines, un très beau pull tricoté main, que mon responsable d’exploitation a d’abord pris pour un chiffon destiné à essuyer la poussière sur les baies de stockage.

Évidemment, dans l’euphorie des fêtes de fin d’année, je ne me suis pas méfié. C’est mon directeur des études qui, le premier, a eu des soupçons. Il est, en effet, fan de la pièce de théâtre et du film « Le père Noël est une ordure ». Je me suis bien douté que ces présents n’étaient pas communs. En effet, il est rare que nos utilisateurs nous fassent des cadeaux ! Mais lorsque j’ai goûté le doubitchu et le kloug aux marrons (je sais, je n’aurais pas dû…), qui me sont restés sur l’estomac pendant trois jours, j’ai compris que nous étions victimes d’un sale coup.

Quand j’ai avalé une rasade de Chpoutz, je n’ai plus eu aucun doute… Des utilisateurs nous en voulaient ! Il me fallait en avoir le cœur net (contrairement à mon système digestif qui ne l’était plus…). J’ai donc mené mon enquête et appelé nos généreux donateurs pour les remercier.
– Vous avez aimé ? m’a demandé Zadko Preskovitch.
– C’est-à-dire que… Toute l’équipe de la DSI a apprécié votre geste mais, comment dire… nous nous attendions à autre chose !
– Vous n’avez pas pu digérer ces succulents mets de ma région natale ?
– C’est c’la, oui… Nous avons été un peu ballonnés, ai-je dû reconnaître.
– C’était l’effet recherché…
– Pourquoi dites-vous cela ?
– Pour illustrer comment nous percevons la DSI. Et je ne suis pas le seul à le penser, mes collègues des autres métiers sont aussi d’accord. Le doubitchu ? Il est aussi indigeste que les interfaces des applications que vous nous développez… Le kloug aux marrons ? Il est aussi lourd que vos chefs de projets qui ne comprennent pas grand-chose à ce que l’on essaie de leur expliquer. Et le Chpoutz ? Un peu bizarre, je vous l’accorde, il est aussi salé que vos refacturations internes, alors que l’on trouverait facilement moins cher en faisant directement appel à un prestataire pour acheter une application sur Internet.

Quant au pull tricoté main, m’a avoué Thérèse Zézaite, il a été fabriqué pendant vingt mois, à raison d’une maille par jour. « Je me suis calée sur le temps nécessaire pour développer une application simple, j’ai monté les mailles aussi vite que vous, à la DSI, pour livrer la dernière version de l’application de gestion des demandes de formation. »

Maintenant, je sais que c’est vrai : le père Noël est une ordure…

Image par Willgard Krause de Pixabay