Learning Expedition, ça décoiffe !

La mode est aux voyages en terres inconnues. Je me suis laissé tenter, afin de découvrir de nouveaux horizons et, pourquoi pas, de nouvelles méthodes de travail que je pourrais appliquer dans ma DSI.

J’ai délaissé la Silicon Valley, dans laquelle on n’a plus rien à apprendre, sauf peut-être la manière de s’occuper pour patienter des heures dans les embouteillages pour aller au bureau, la façon de financer des loyers exorbitants pour des gourbis en bois où le moindre carré de pelouse coûte une blinde, ou l’art d’embobiner des investisseurs (ça marche aussi pour les DAF et les directions générales) avec des concepts fumeux.

Non, j’ai préféré une région moins connue : le Sinaloa, au Mexique, le long du Golfe de Californie. C’est l’une des régions les plus riches du pays, parce que, si vous ne le savez pas je vous l’apprends, c’est là qu’est produite une grande partie de la drogue qui alimente l’Amérique du nord et l’Europe.

Cette Learning Expedition a été l’occasion de découvrir les bonnes pratiques du cartel de Sinaloa, entreprise puissante au chiffre d’affaires de plusieurs milliards de dollars (la société ne dépose pas ses comptes au registre du commerce…). Suite à un changement de direction générale (le boss étant en voyage d’affaires à perpétuité dans une geôle américaine), j’ai rencontré Ramirez Tadupo, le nouveau DSI « non officiel » du cartel. J’ai commencé par la visite du « datacenter », enfoui dans la jungle. « Ici, nous avons tout le matériel dernier cri : serveurs blindés, réseaux chiffrés et stocks de PC durcis, à l’épreuve des balles. » Impressionnant…

– Ton SI est donc aligné sur les enjeux business ?
– Oui, il est complètement en phase avec notre business model : générer un maximum de pognon en vendant très cher un produit qui ne coûte quasiment rien à produire, un peu comme certains éditeurs de logiciels. Le SI est à l’image de ce que nous vendons : notre informatique, c’est de la bonne !
– Tu n’as pas de problème de gestion de Legacy ?
– Détrompe-toi : nous sommes en pleine migration ! On doit remplacer notre vieil ERP (Extorsion, Racket, Prostitution), qui gère nos anciens modèles de génération de revenus, pour une solution CRM : Comment Ramener la Monnaie.
– Et la gestion du changement ne pose pas de problème ?
– Heu… pas vraiment. Nous appliquons une méthode agile : on tire dans le tas ! C’est comme le Design Thinking, mais sans les réunions : on appelle ça le Killing Thinking. Et on ajoute un peu de Scrum (Système Coercitif pour Réprimer les Usages Malveillants). Nous avons d’ailleurs mis en place une gouvernance 360 ° : « Tout ce que vous direz ou ferez pourra être retenu contre vous, devant vous et derrière vous. »
– Je suppose que tu n’as pas de problème budgétaire ?
– Non, notre regretté DAF voulait limiter nos dépenses. Nous l’avons converti aux méthodes agiles… et à Scrum ! Nos budgets sont redevenus illimités. On a même embauché un CDO (Chief Drug Officer) pour développer l’innovation. Et elle aussi, c’est de la bonne : elle n’est pas coupée avec des silos et des morceaux de reporting.
– Comment gères-tu les fournisseurs ? Chez nous c’est toujours difficile…
– Pas ici : en principe, les commerciaux des fournisseurs nous adorent tellement on leur achète de quincaillerie. Certes, leur turnover est un peu élevé, ils sont un peu stressés de négocier avec nous, on n’aime pas les contraintes contractuelles. Quant à ceux qui ont été tentés de nous coller un audit de licences…
– Comment les as-tu gérés ?
– Ils nous ont réclamé, d’emblée, douze millions de dollars pour la régularisation, soi-disant pour des utilisateurs fantômes, des contrats qui ne seraient plus à jour et des accès indirects non déclarés. J’avoue que la méthode est un peu brutale. Certes, nous sommes habitués, en général, c’est nous qui la pratiquons. Mais là… Nous leur avons expliqué que nous souhaitions absolument conserver sur notre territoire le monopole des méthodes de voyous. Cela dit, des éditeurs de logiciels capables de gagner des centaines de millions d’euros sans rien faire méritent quand même le respect…

Finalement, cette Learning Expedition donne envie de s’expatrier pour laisser derrière nous nos difficultés quotidiennes avec les métiers, les utilisateurs, les fournisseurs et les directions générales. Mais il y a quand même un inconvénient majeur : la durée d’occupation d’un poste de DSI est très courte. Comme le dit Ramirez Tadupo : « Être simplement armé de bonnes intentions ne suffit pas ! » En attendant, je vais développer les méthodes agiles dans ma DSI, car ce n’est pas l’envie de « tirer dans le tas » qui me manque…