Je me rends rarement dans les conférences organisées par les fournisseurs, les cabinets d’études ou la presse professionnelle, du moins ce qu’il en reste. Une ou deux fois par mois, c’est suffisant. S’il me fallait répondre à toutes les invitations que je reçois, je passerais plus de temps au dehors que dans mon bureau !
Même le plus petit des éditeurs de logiciels se doit de créer son « événementiel » autour de ses produits dont, il faut bien le dire, la plupart nous laissent complètement indifférents. Et, c’est sûr, mes chers collègues ne manqueraient pas de me reprocher de passer le plus gros de mon temps hors de l’entreprise, avec des arguments du style : « Au lieu de fanfaronner dans les cocktails ou de t’assoupir devant des slides marketing avec plein de morceaux de langue de bois dedans, tu ferais mieux de t’occuper de la qualité de service de l’informatique. » Ce n’est pas faux. D’autant que les sujets que l’on nous propose ne sont pas toujours passionnants.
Pour ceux qui veulent petit-déjeuner à l’œil, déjeuner copieusement dans les plus grands restaurants et finir sur un cocktail exotique, histoire de ne pas clôturer la journée le ventre vide, il y a toujours des opportunités. Mais il faut que je pratique de temps en temps la veille technologique. C’est l’un des avantages de ces conférences dites thématiques : on obtient en quelques heures l’état de l’art de ce que font nos fournisseurs. J’en profite aussi, puisque c’est à la mode, pour faire du networking pour préparer mes jobs futurs. On ne sait jamais. Le mois dernier, je me suis rendu dans un lieu prestigieux, le Cyclomoteur Club de Navarre, en plein centre de Paris, place de la Concorde.
Au programme, plusieurs interventions de consultants qui ont présenté des slides intéressants sur les enjeux et l’évolution du marché de la chaîne logistique, le fameux Supply Chain Management (ou SCM, à ne pas confondre avec le Supplice Chinois du Manager qui consiste à arracher délicatement la peau de ses compétences pour mieux la clouer au pilori des réorganisations). J’ai évidemment pris des notes, car j’ai suggéré à la direction générale du groupe de refondre notre chaîne logistique qui a besoin d’un sérieux lifting pour « gagner en agilité ». Il me faut un maximum d’informations pour préparer mes propres slides. Je dois en effet réaliser une présentation pour le comité de direction du mois prochain. J’ai pris soin de noter toutes les meilleures pratiques, présentées par plusieurs responsables marketing d’éditeurs de logiciels, tous leaders sur le marché, il va de soi. Pour mettre en œuvre ce projet stratégique, j’ai fait appel à notre prestataire historique, le cabinet de conseil Meyer-Sainou-Laimeyer. Rendez-vous est pris une semaine plus tard avec un consultant, que je n’avais jamais vu jusqu’à présent.
– Nous avons conçu spécialement pour vous une synthèse de notre approche particulièrement originale et innovante pour adresser votre problématique de gestion de la chaîne logistique, m’explique-t-il, après avoir branché son ordinateur portable pour me présenter la quintessence de ses réflexions.
Au prix où l’on paie les consultants de Meyer-Sainou-Laimeyer, j’attends au moins de la valeur ajoutée par rapport à mes propres connaissances et, surtout, un gain de temps. Je suis même certain que le travail de synthèse de ce jeune consultant va m’être très utile pour redresser mon aura auprès du Codir. Au bout de quelques minutes, j’éprouve une désagréable impression de déjà-vu. Qui s’accentue au-delà du dixième slide…
Je consulte discrètement mes notes, prises lors de la conférence au Cyclomoteur Club de Navarre. Pas de doute : mot pour mot, ce (cher) consultant me ressert ce que j’ai déjà vu et entendu ! Y compris avec les fautes d’orthographe ! Je renonce à calculer ce que cette prestation a déjà coûté à l’entreprise. Vu le prix de journée que nous facture Meyer-Sainou-Laimeyer, je préfère ne pas ébruiter l’affaire… J’ai enfin compris pourquoi les conférences des fournisseurs font toujours le plein ! Une bonne moitié de l’audience est constituée de consultants en mal d’idées. Qu’ils resservent à leurs clients. Vous voici prévenu…