Les méthodes à Gilles

Il faut que nos systèmes d’information soient plus flexibles. Le message des directions métiers est clair. On connaît la chanson et ce n’est pas la première fois qu’on nous repasse les plats pour l’accompagner. Mais qu’est-ce que cela veut dire, flexibles ? Je me suis permis de poser cette question lors du dernier comité de direction.

– … Eh bien, cela signifie qu’on ne doit pas attendre des mois avant qu’un projet nous soit livré, se lance le directeur marketing.
– … Que lorsque l’on est confronté à un problème, les équipes de la DSI soient réactives, même en dehors des heures de travail ajoute le DAF.
– … Que la DSI nous propose des outils pour gagner en productivité mais que les solutions ne soient pas trop innovantes, on ne tient pas à essuyer les plâtres ; ni trop ringardes, on ne tient quand même pas à passer pour des « losers » vis-à-vis des concurrents et des clients, renchérit le patron de la logistique.
– … Que l’on puisse changer nos fonctionnalités quand on s’aperçoit que les évolutions de notre métier imposent de changer, demande la patronne des ressources humaines.

N’en jetez plus ! Avec tout cela, je suis bien avancé ! Certes, on peut répondre à toutes ces exigences mais cela suppose un quasi doublement des budgets, du nombre de prestataires et des effectifs de la DSI. Autant dire qu’il n’en est pas question. Je me suis donc abstenu de répondre qu’en informatique, on peut tout faire si l’on a des budgets illimités. Y compris les projets les plus complexes en quelques semaines. ça coûtera peut-être mille fois plus cher, mais les directions métiers auront leurs exigences satisfaites. Bref, je suis coincé et cobaye idéal pour des étudiants en mal d’études de cas en psychologie sur les injonctions paradoxales.

En regagnant mon bureau, plutôt déprimé (moi, pas le bureau), je croise Gilles Luiet-Riendy, notre responsable des services généraux. Pas le chef, mais celui qui fait tout le boulot : le courrier, les commandes de papier, le remplacement des bannettes cassées ou les achats de trombones (on en consomme beaucoup). Il passe pour une « personnalité difficile » mais est plutôt attachant.

– Comment fais-tu, toi, pour être flexible ?
– C’est simple, me répond-il. J’applique quatre principes. Le premier : n’importe qui ne peut pas me demander n’importe quoi n’importe quand. Si tout le monde veut son courrier en même temps, avant dix heures, comment je fais, moi ? C’est simple : je n’y arrive pas, je suis tout seul. Chacun son tour et pas de discussion ! Et quand on me demande pourquoi tel service est servi avant tel autre, je réponds : « Parce que je l’ai décidé comme ça et que c’est pas autrement. Si cela vous pose un problème, financez-moi un assistant et ça sera avec plaisir que je vous livrerai le courrier avant dix heures. » En attendant, ils peuvent toujours aller chercher leur courrier eux-mêmes à la Poste. Mon deuxième principe : je sais gérer l’urgence… quand on me le demande gentiment ! Je peux aller très vite et être très efficace, mais c’est si je veux ! Et on négocie des contreparties… Bref, j’impose des procédures strictes, sinon c’est le bordel, avec des exceptions et une gestion des priorités quand même, parce qu’on n’est pas des sauvages. Le troisième principe est tout aussi simple : c’est de considérer que ce sont mes interlocuteurs qui ont un problème, et pas moi. à eux de le régler et je peux les aider, mais ce sont eux qui voient ! S’ils veulent payer plus pour plus de service, ce n’est pas moi qui vais mettre de ma poche… Il n’y a pas écrit Emmaüs là, précise-t-il en appliquant sa main sur son front.

– Et personne ne t’envoie jamais balader ?
– Pas un, ils ont tous compris que je suis l’un des salariés les plus importants de l’entreprise, s’ils veulent travailler dans de bonnes conditions. Un peu comme toi…
– C’est pas faux. Et le quatrième principe ?
– C’est d’appliquer scrupuleusement les trois premiers, me répond Gilles.

Lors de la prochaine réunion avec mes chers collègues, je leur expliquerai que pour gagner en flexibilité, je vais utiliser les méthodes à Gilles. Ils en ont forcément entendu parler : les méthodes agiles sont décrites dans tous les bons bouquins de management des systèmes d’information…