Marges arrière toutes !

Face à la pléthore de fournisseurs, comment faire le bon choix ? Sachant, bien sûr, qu’il est hors de question de prendre des risques et de voir débarquer dans l’entreprise des consultants ou des produits qui ne tiennent pas la route. Il paraît qu’il y en a sur le marché… 

L’idéal ? Des solutions logicielles robustes, des consultants compétents et pas trop chers pour les mettre en œuvre : voilà ce dont nous avons besoin. ça, c’est la théorie. Pour la pratique, il faut se débrouiller comme on peut. Pour atteindre cet objectif, il y a plusieurs manières de procéder. La plus artisanale consiste à collecter et conserver, toute l’année, les plaquettes commerciales que nous recevons régulièrement, et à les classer par types de solutions et de technologies.

Je ne sais pas si vous avez essayé, mais c’est impossible. J’ai connu un DSI qui avait opté pour cette approche et une pile de dossiers poussiéreux lui est tombée sur la jambe, l’immobilisant pour plusieurs semaines. Comme son entreprise était en phase de choix d’un fournisseur, c’est son patron, le DAF, qui s’en est finalement chargé. Logique, il a retenu le moins-disant. Résultat : notre DSI, une fois remis sur pied, a passé des mois à réparer les dégâts.

Il existe d’autres méthodes pour sélectionner le bon fournisseur. Et l’on peut judicieusement s’inspirer du jeu « Qui veut gagner des millions ? », qui devient, pour l’occasion : « Qui veut gagner de la tranquillité ? » D’abord, le 50-50 : face à la parfois longue liste de répondants à un appel d’offres, on procède par élimination, en ficelant bien des éléments du cahier des charges que seuls la moitié des prétendants peuvent proposer. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il n’en reste que deux.

Ensuite : l’avis du public (des utilisateurs, en l’occurrence). Je ne conseille pas cette approche dans la mesure où l’on obtient tout et n’importe quoi. Essayez de sonder vos utilisateurs en leur demandant : « Qui est le meilleur prestataire pour répondre à vos besoins ? » La moitié s’en fout, l’autre moitié se partage à parts égales entre ceux qui livrent un nom au hasard, et ceux qui pensent que c’est le boulot de la DSI de choisir… et d’assumer par la suite car les mêmes utilisateurs ne manqueront pas, un jour ou l’autre, de vous reprocher vos choix. On peut aussi reconduire les prestataires avec qui l’on a déjà travaillé mais, à la longue, ils s’incrustent… Ou demander à un collègue DSI ce qu’il en pense.

En fait, j’ai essayé une autre technique : faire appel à un cabinet de conseil indépendant, Wilson & Rossignol, spécialisé dans les études de marché et qui, régulièrement, classe les fournisseurs selon leur performances, leur vision stratégique et leur capacité à l’exécuter. J’ai en effet besoin d’un logiciel de rétro-financiarisation du reporting déphasé en mode collaborativo-asynchronisé pour notre Direction financière. J’ai donc acheté une étude de quinze pages vendue 19 999,99 dollars pour vérifier qui est le meilleur sur le marché. Car je n’en sais rien : entre Softquipeu, Soft-toidela et Softag-Enmer, et la quinzaine d’autres éditeurs présents sur ce créneau, et tous « leaders » si on les écoute, je suis bien incapable de choisir. L’étude comparative à 1 333,33 dollars la page m’indique, avec certitude, que le produit de Softquipeu est de loin le meilleur : « visionnaire », « excellent support fonctionnel », « complétude de la vision » (je n’ai jamais su ce que cela signifiait, mais ça fait bien…)

Même à 1 333,33 euros la page, il me fallait une confirmation avant de choisir. On ne sait jamais, une erreur est si vite commise. Comme notre DAF disposait d’un budget conséquent (toujours, quand c’est pour sa pomme…), j’ai pu faire appel à Wilson & Rossignol, qui propose aux DSI une offre d’accompagnement aux appels d’offres : ils s’occupent de tout, lancent la consultation, trient les offres, et choisissent le meilleur. Pratique quand on n’y comprend rien dans les offres. Résultat : Softquipeu est toujours en tête. Je reçois donc le commercial de l’heureux gagnant pour conclure la vente. Et lui fais part de mon admiration pour être parvenu à se classer largement devant ses concurrents. Histoire de détendre l’atmosphère, je lui lance :
– Et vous avez payé combien ?
– Comment savez-vous que l’on a payé ?

Un silence de quelques secondes l’avertit qu’il a dû faire une boulette. Il n’a plus le choix. J’insiste pour qu’il m’explique. « Wilson & Rossignol se sont inspirés des méthodes de la grande distribution avec les marges arrière : à chaque fois que l’on remporte un appel d’offres avec leur aide, on doit leur reverser 5% du montant du contrat. » Futés les consultants de Wilson & Rossignol… Mais ça m’a permis d’obtenir -20 % sur le prix des licences. « Sinon je balance tout à la communauté des DSI », l’ai-je menacé. Inutile de préciser que je n’ai jamais revu le commercial de Softquipeu…