Les DSI sont des homo informaticus à quatre pieds. Le premier pour gérer la DSI, comme un manager dirige sa business unit. Le deuxième pour gérer les relations avec les directions métier et la direction générale de l’entreprise. Le troisième pied sert à piloter les relations avec les fournisseurs et le quatrième à optimiser les technologies au service des utilisateurs et des clients finaux.
Ces quatre univers ont chacun leur logique propre : logique de gestion d’entreprise, de gouvernance, de client-fournisseur, d’innovation. Dans un monde idéal, le DSI a une visibilité dans chacun de ces domaines de sorte que l’ensemble soit cohérent. Sans que le système d’information ne devienne bancal parce qu’un pied est fragile.
Et dans la réalité ? Il faut bien l’avouer, nous sommes de plus en plus dans le brouillard. Autrement dit, notre champ de vision se rétrécit dangereusement. Gérer la DSI ? Il nous faut assimiler les best practices en matière de gestion des ressources humaines, de motivation des équipes et d’attraction des talents pour contrecarrer les effets négatifs des déséquilibres de la pyramide des âges. Gérer les relations avec les directions métiers et la direction générale ? Là encore, les changements de périmètre incessants nous obligent à naviguer à court terme entre les nouveaux projets business. Que connaît-on de la stratégie à moyen et long terme de nos dirigeants et de nos actionnaires ? Au mieux, autant qu’eux, c’est-à-dire pas grand-chose, le plus souvent. Gérer les relations avec les fournisseurs ? Sur ce terrain, l’obsolescence des produits et le rythme de renouvellement des solutions nous empêchent d’assimiler une roadmap précise. Gérer les technologies au service des clients et des partenaires de nos entreprises, à l’heure où tout le monde réclame du temps réel et de la fluidité, le tout avec les dernières technos ? Il n’est pas facile d’identifier les meilleures solutions pérennes.
D’un point de vue météorologique, la formation du brouillard constitue un intéressant phénomène. Les spécialistes nous expliquent que le brouillard se manifeste par la suspension dans l’atmosphère de très petites gouttelettes d’eau en général microscopiques, réduisant la visibilité. Il en existe plusieurs sortes mais le plus courant est le brouillard de rayonnement. Il se forme suite à une inversion de température près du sol, qui refroidit l’air ambiant. Il est d’ailleurs très difficile, nous expliquent les météorologues, de prévoir l’intensité et la localisation du brouillard. Simplement parce que le brouillard est un phénomène très localisé et qu’une faible variation d’un des paramètres de sa formation peut le déclencher ou non. Ce phénomène météorologique n’est pas sans similitudes avec ce que nous connaissons. Nos systèmes d’information, relativement froids (ou tièdes pour les plus innovateurs d’entre nous) sous l’effet de nos systèmes legacy, de nos bases de données obèses, de nos multiples applications à côté desquelles un plat de spaghetti serait plus facile à démêler en moins de trente secondes, de nos pesanteurs organisationnelles, subissent un réchauffement provenant de l’environnement externe. En effet, le vent chaud soufflé par les fournisseurs et tous les acteurs de l’écosystème entre en collision avec nos systèmes d’information. Et il est très difficile de prévoir à quel endroit du système d’information. C’est à ce moment-là que les gouttelettes commencent à se former.
Au début, on ne les voit pas : on croit toujours ainsi qu’il est possible de différer telle migration applicative, de reporter à l’année prochaine toute tentative de virtualisation, de faire diversion face aux nécessités d’outsourcer ce qui n’est plus stratégique, de railler toute idée de gouvernance du système d’information… Jusqu’à ce que les différences de températures créent un déséquilibre qu’il est bien difficile de dissiper.
Pourtant, vu de l’extérieur de la DSI, en particulier depuis les directions métiers ou la direction générale, tout semble au beau fixe. C’est une autre caractéristique que nous enseignent les météorologues : le brouillard de rayonnement se forme par temps clair. On connaît les conséquences du brouillard : une paralysie dans l’agilité des individus et des véhicules. Et des accidents plus ou moins graves ! Sans que les responsabilités des uns et des autres soient toujours clairement établies…
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