On se souvient du « It’s the economy, stupid », slogan lancé par James Carville, conseiller de Bill Clinton, lors de la campagne présidentielle américaine de 1992. Une phrase choc pour signifier que ce domaine doit être privilégié dans les discours et que le reste n’a finalement que peu d’importance.
Cette technique est toujours utilisée par nos chers commerciaux, qui défilent pour nous présenter leurs solutions toujours plus performantes, optimales, riches en fonctionnalités, innovantes, différenciantes et, bien sûr, « cloud-ready » pour plus d’agilité. Leur phrase favorite pour nous convaincre que c’est vrai ? « It’s the cadran magique, stupid DSI ! ». Ils sont rares les commerciaux qui ne nous font pas le coup de « tel cabinet nous a classé en haut à droite de leur figure géométrique, c’est donc qu’on est les meilleurs, stupide DSI ».
Magique ? Humm… Si l’on reprend la définition du dictionnaire Larousse, ce qui est magique est ce qui « sort du rationnel », ce qui « agit de manière surprenante » ou ce qui produit des « effets extraordinaires ». Pour le Petit Robert, dans ce qui est magique « l’irrationnel tient une grande place. » La magie étant l’art de « produire, par des procédés occultes, des phénomènes inexplicables ou qui semblent tels. » Avec des synonymes comme sorcellerie, envoûtement, sortilège, divination, influence, maléfice…
Il est vrai que tous les analystes qui affublent leurs figures géométriques du mot « magique » correspondent à ces qualificatifs. Un fournisseur qui, de notoriété publique, n’est pas à la hauteur et qui se retrouve bien classé, cela relève certainement de l’irrationnel ou des « effets extraordinaires ». A moins, bien sûr, qu’il n’ait payé sa place pour passer devant les autres (le montant est « occulte », bien sûr). De même, anticiper le fait qu’un éditeur de logiciels deviendra un vrai leader sur son marché relève, le plus souvent, des arts divinatoires. Quant à ceux qui sont rétrogradés en bas à gauche, sous l’appellation de « challengers » (en gros, des losers en perte de vitesse, mais il ne faut pas le dire pour ne pas les froisser…), ils ont été victimes d’un maléfice, d’un envoûtement de la part d’analystes-sorciers.
Un DSI peut lui aussi se trouver envoûté, s’il croit aux « effets extraordinaires » des documents marketing et commerciaux. A chaque fois qu’un commercial vient me rendre visite (j’en accepte quelques-uns dans mon bureau, ça me distrait…), il ne manque jamais de me faire le coup, comme s’il avait un joker dans sa manche :
– Vous savez, notre société a été reconnue par le cabinet Meyeur Sainou Lémeyeur, qui nous a placé dans la catégorie « Leader Maximo Grand Timonier Conducator » sur le marché, c’est le Top du Top chez eux, personne ne peut aller au-delà.
– Même s’il paie très très très cher ?
– Hmmm. Je ne vois vraiment pas ce que vous voulez dire.
Autant dire que l’argument du truc magique a pour résultat de réduire à néant tout ce que le commercial a pu me raconter, y compris ce qu’il a pu dire de pertinent. C’est le signe que le fournisseur n’a guère d’argument sérieux à faire valoir, pour s’en remettre à des analystes qui ont flairé la bonne affaire. Je n’ai d’ailleurs encore jamais rencontré un éditeur qui m’aurait affirmé : « Les figures géométriques magiques ? Mais on en a rien à faire, on sait expliquer à quoi servent nos solutions et la valeur qu’elles génèrent. Les analystes peuvent donc aller se rhabiller. » Si vous en connaissez, dites-le moi, ils seront les bienvenus dans nos locaux.
Pour dissuader les fournisseurs de me faire le coup du truc magique à chaque fois qu’ils parviennent à franchir la porte de mon bureau, j’ai affiché derrière moi ma propre figure géométrique : le déconagone magique. Vous pouvez faire pareil, je suis partageur…