Roulez bolides !

On ne devrait jamais lire la presse économique. C’est déprimant. Comme je n’avais rien à faire (!) entre deux réunions de pilotage avec mes équipes et quelques nouveaux prestataires à coacher, je me suis plongé dans le dernier numéro du mensuel Capital et dans le magazine non moins mensuel L’Expansion. Dans le premier, un article nous prévient : « Au secours, la bulle Internet revient ! »

Et de nous décrire une situation complètement extravagante. Je vous avais déjà entretenu, dans une précédente chronique, de ce décalage entre le monde des start-up et celui des systèmes d’information, en soulignant le fait que nous, DSI, ne pourrions jamais utiliser les mêmes techniques que ces jeunes pousses pour ramener des millions d’euros de financement : en gros, un simple petit PowerPoint pour mettre la main sur un gros pactole.

Ne rigolez pas, ça existe.

Un investisseur raconte, dans le numéro de Capital : « Lors d’une réunion récente, j’ai vu tous les investisseurs se précipiter vers des projets de sites de location entre particuliers qui ne tenaient que sur un PowerPoint, sous prétexte que l’un d’eux a plutôt réussi. » Dans L’Expansion, un article, qui affirme que « les dollars sont de retour dans la Silicon Valley », donne la parole à un créateur de start-up qui, lui, a juste résumé son projet (un service communautaire d’e-learning) sur un site d’investisseurs : « Le lendemain, j’étais submergé d’appels, j’ai dû refuser des rendez-vous », explique-t-il. Tout cela serait sans importance, et même risible de voir tant d’insouciance dans les business models, tant de crédulité chez les investisseurs dans les capacités de certains créateurs de start-up à développer des entreprises pérennes qui créent de la valeur pour leurs clients (même si, heureusement, cette confiance se révèle parfois justifiée).

Le problème est que cette situation, qui nous ramène dix ans en arrière, va avoir, à terme, des conséquences concrètes pour les DSI. En tout cas, je me pose des questions existentielles. On peut en identifier quatre. D’abord, à force de clamer qu’un PowerPoint suffit pour gagner des millions, ne risque-t-on pas de voir partir vers d’autres cieux nos meilleurs éléments ? Nos développeurs les plus talentueux, nos chefs de projet les plus clairvoyants, nos experts techniques les plus pointus ? On a déjà du mal à gérer notre turnover et nos ego, si en plus les meilleurs s’en vont… Deuxième risque : nos utilisateurs. Eux aussi lisent la presse et vont inévitablement se demander pourquoi des nouveaux services qu’ils pensent innovants sortent à foison de l’imagination de créateurs de start-up alors qu’à la DSI, pour trouver une simple idée, il nous faut trois mois. Et encore, elle n’est pas toujours innovante.

Troisième question : nos directions générales et nos directions métiers ne vont-elles pas, elles aussi, s’y mettre ? Elles nous ont déjà fait le coup il y a dix ans, en croyant se passer des DSI, avec les agences Web et autres-« e-vap » (value-added providers, pour ceux qui l’ont oublié… tout un programme !). Et ne vont pas tarder à suggérer que tous les livrables que nous produisons soient relookés façon Web. Enfin, du côté des fournisseurs, on peut se demander si l’on ne va pas voir une horde d’ingénieurs enthousiastes débarquer dans nos bureaux pour nous proposer le logiciel « révolutionnaire » qui va changer la vie des DSI. Là aussi, on nous a déjà fait le coup avec des produits dont la version bêta est vraiment bêta, dont le support se résume à un numéro qui sonne dans le vide et dont la roadmap technologique ressemble à un dessin d’élève de maternelle. Sans les couleurs.

Vivement que la bulle éclate ! Au moins, cela nous débarrassera d’un problème de plus. Déjà que nous avons à gérer l’irruption des tablettes et des smartphones dans nos entreprises, dont le Gartner nous dit que nous n’y échapperons pas !