SI d’apothicaire

On connaît les comptes d’apothicaires, qui sont, nous apprennent les encyclopédies, des « calculs compliqués, mesquins ou excessifs dont les résultats n’ont aucun intérêt ». Toute ressemblance avec des business cases de projets informatiques ou des livrables de cabinets de conseil serait bien sûr purement fortuite.

Mais les apothicaires, les ancêtres de nos pharmaciens, ont quand même un rôle crucial. Et si, lorsqu’un DSI ne sait plus par quel bout prendre ses projets systèmes d’information tant ils sont complexes, traînent en longueur ou font l’objet de multiples récriminations, allait consulter un sage apothicaire ? Celui-ci ne manquerait pas de lui conseiller l’utilisation de quelques onguents, crèmes et autres substances susceptibles de redonner la santé à un projet ou à système d’information patraque.

Ne sachant plus comment me sortir du pétrin dans lequel une direction métier a placé la DSI, je me suis résolu à consulter un apothicaire, comme il en reste quelques-uns dans nos régions où tout n’a pas encore été informatisé ou hautdébitisé.

Quelle ne fut pas ma surprise lorsque ledit apothicaire, un vieil homme avec des bésicles triple foyer, m’a entraîné dans son arrière-boutique pour me faire admirer des récipients dont le contenu, m’assura-t-il, sont capables de redonner du tonus à n’importe quel système d’information souffrant d’anémie de la part de ses informaticiens, d’attaques virales de la part des microbes expédiés par la direction générale, d’irritations de la part de ses utilisateurs et de rougeurs budgétaires. Il m’a alors livré sa recette (et autorisé à prendre une photo), que je vous révèle à mon tour, mais que cela reste entre nous, sinon ça va encore jaser dans l’entreprise si l’on apprend que nous nous en remettons à des remèdes d’apothicaire au lieu de faire appel à un cabinet de conseil…

Une application d’onguent de Saint Damien et de Saint Côme. « Ces deux-là étaient des martyrs », m’expliqua l’apothicaire. Ça commence bien… Il y a bien longtemps, ils exerçaient la médecine dans une ville portuaire de la mer Égée et avaient acquis une grande réputation car ils n’acceptaient aucune rétribution. Cela ne les a pas empêchés d’être jetés à la mer. La légende dit aussi qu’ils avaient réussi une greffe miraculeuse.
– Cela vous parle ? me demande l’apothicaire.
– Et comment ! Un DSI est aussi quelqu’un qui accomplit des miracles (par exemple greffer un ERP sur une organisation bancale), qui a une grande réputation (du moins chez ses pairs) et qui finit souvent en martyr, jeté dans l’océan du chômage…

Une bonne dose d’extrait de digitale. Normal pour un SI d’avoir de la digitale, plante qui a des propriétés cardio­toniques, pour soutenir le cœur du système d’information.

Une friction avec du baume tranquille. Bon, ça c’est pour le repos du DSI, pour soigner les rhumatismes articulaires qui surviennent en cas de grippage de la machine à aligner le SI sur les métiers.

De l’huile de laurier à volonté, plusieurs fois par jour. C’est évidemment mon remède favori : car qui d’autre que nous-mêmes va nous dresser des lauriers ?

Quelques pétales de fleurs d’oranger. « Dans l’Antiquité, la fleur d’oranger symbolisait la pureté et a des vertus antidépressives et relaxantes », m’explique mon apothicaire. On en a bien besoin… J’ai doublé la dose recommandée !

Cinq racines. Tout comme il nous faut consommer cinq fruits et légumes par jour, un SI a besoin de fortifier ses racines (matériels, logiciels, infrastructures, services, réseaux…).

Une pincée de poudre de limaçon. « Indispensable pour savoir prendre son temps », m’explique mon apothicaire. Utile face à ceux qui veulent tout pour le lendemain ou pour hier… La poudre de tortue était en rupture de stock…

Quatre semences chaudes. Mon apothicaire ne s’est pas étendu sur le contenu de son récipient. Tout juste m’a-t-il laissé entendre qu’elle était vide et qu’elle servait uniquement à entretenir le mystère sur la puissance de ses pouvoirs. Amis DSI, nous non plus, ne nous privons pas d’entretenir un vrai mystère sur l’étendue de nos pouvoirs !