Nous autres, DAF, avons besoin de ce que les coachs appellent le »networking ». Pas celui que l’on développe dans les cocktails, trop superficiels, les dîners en ville, trop ennuyeux ou les congrès à taille inhumaine, où tout est formaté. Il existe un autre nid de networking : la formation. Là, je me retrouve avec des confrères qui ont des préoccupations similaires aux miennes… et qui ne se prennent pas la tête !
L’intitulé d’un séminaire proposé par l’institut Ckomsakifofer m’a d’emblée attiré : »DAF du futur : devenir un manager performant ». Tout un programme, même si en matière de performances, j’estime être déjà bien avancé. Les thèmes traités sont toutefois prometteurs : »les outils de pilotage financièro-comptable », »réduire les coûts avec la méthode nivuniconu ®, »gagnez enfin l’affection de votre direction générale », »l’ingénierie financière ingénieuse de votre trésorerie », ou encore »la convergence des investissements immatériels et matériels au service de votre tranquillité d’esprit ».
En prime, car l’institut Ckomsakifofer a fait les choses en grand : un hôtel luxueux (le prestigieux Alexandre V, en temps ordinaire repère de people en ascension) dont le prix de la chambre aurait choqué plus d’un ouvrier de Moudelab & Flouze. D’ailleurs, je ne sais pas s’ils auraient apprécié. Comme dit ce cher Jean-Marie Bigard : »les pauvres, ça n’a pas de goût. On ne les voit jamais dans les hôtels de luxe. Vous connaissez un ouvrier qui roule en Ferrari ou qui possède une toile de maître dans son salon ?
Et dire qu’il y a quelques mois, j’étais à l’hôtel de la Mère Serry et du Père Septeur réunis.
Il n’y a pas à dire, les organismes de formation savent y faire pour attirer le chaland. Même avec un thème abscons, ils peuvent réunir des clients au prix fort, rien qu’en proposant un hébergement de luxe, assorti à la cuisine gastronomique. A croire qu’ils passent davantage de temps à sélectionner le menu que les formateurs.
Mais comment leur en vouloir ? L’emballage plutôt que le contenu, toutes les entreprises sont réduites, un jour ou l’autre, à en faire leur crédo marketing…
Très rapidement, je me suis aperçu que tous les exercices proposés par le formateur, sont réalisés avec le tableur Inpepper, commercialisé par l’éditeur géorgien Yalatouchkamoli, le même produit, d’ailleurs, qui équipe les PC de nos collaborateurs. Ayant dépensé une fortune pour mettre en place notre nouveau progiciel de gestion intégré universel, doté de tous ses modules, j’attendais au moins que le formateur adapte son propos aux vrais professionnels de la finance, ceux des moyennes et grandes entreprises. Pas à ceux qui pratiquent en amateur avec des additions et des soustractions, fussent-elles automatisées avec un tableur !
Je n’ai rien contre les artisans, les professions libérales ou les étudiants, mais au tarif de formation pratiqué (1567 euros hors taxes la journée), j’espérais mieux de la part du célèbre institut Ckomsakifofer… Comment partager des informations avec d’autres collaborateurs ? Comment assurer la confidentialité des données ? Comment créer de vrais indicateurs de pilotage ? Optimiser la gestion de trésorerie ? Faciliter le reporting ? Telles sont les vraies questions.
– Vous utilisez un simple outil de prototypage pour des besoins individuels. Quand allez-vous traiter des besoins réels et quotidiens des directeurs financiers ?
Je n’aime pas trop, en principe poser des questions dans un tel contexte, mais là, je me suis lâché. Que n’ai-je pas dit là ? Mon intervention est ponctuée d’un silence pesant. Je sens que le formateur est mal à l’aise.
– C’est une bonne question, néanmoins, cet outil est le plus utilisé dans le monde de l’entreprise. Qui utilise le tableur Inpepper comme outil principal de gestion financière ?
A ma grande surprise, les trois-quarts de la cinquantaine de participants lèvent la main. Moi qui croyais, jusqu’à présent, que mes confrères DAF utilisaient des outils modernes, adaptés à notre monde concurrentiel cruel ! Eh bien non…
J’étais, confus et interloqué, plongé dans une assemblée où les participants fauchaient leur blé à la faux, tandis que moi je les toisais du haut de ma moissonneuse-batteuse ERP dernier modèle. Mon père m’a pourtant souvent répété :
– Mon fils, réfléchis bien avant de sortir ta science. Reste humble, cela t’évitera de passer pour le gâche-ambiance de service.
Nous ne sommes effectivement pas du même monde. Et sincèrement, j’ai plus de prédispositions pour le mien.
»Pauvres en outils, pauvres d’esprit »… Je ne suis pas loin de faire mienne cette maxime. Je profite de la pause de l’après-midi pour quitter l’hôtel Alexandre V, l’institut Ckomsakifofer et sa bonne parole. En passant devant une librairie, je m’arrête devant la vitrine remplie de l’ouvrage »Inpepper pour les Nuls ».
Il paraît que c’est aujourd’hui un best-seller mondial…Je comprends mieux pourquoi !