Travail collaboraté

Cela devait arriver ! La pression a été trop forte… à force de recruter des jeunes chez Moudelab & Flouze Industrie, ceux-ci, devenus de fait des utilisateurs du système d’information, se sont mis à réclamer les outils dont ils disposent chez eux. Et des outils, ils en ont, les bougres !

Du réseau social de type « Copains d’y a pas longtemps », du « tchatte », de la vidéo effet surround, des univers virtuels en 15,42 dimensions… Bref, toute la panoplie du digne représentant de la génération Y. Les directions métiers nous ont remonté de nombreuses récriminations, de la part de ces nouveaux collaborateurs, sur la rusticité de nos postes de travail (bon, d’accord on a encore du Windows 95, mais c’est pour les usines …), sur la lenteur de nos réseaux (je planque déjà la facture de France Télécom à mon DAF de peur qu’il ne succombe à un bug cardiaque, ce n’est pas pour augmenter les débits), sur la lourdeur des processus d’échanges de simples documents (ben… la pièce jointe dans un e-mail, comme on a toujours fait, c’est quand même pas compliqué !) et, surtout, sur la « ringardise » de nos applications dites de « productivité personnelle ».

Bon d’accord, on a pas Google Apps mais un truc plus lourd pour la messagerie, avec, cela va de soi, parce qu’on est pas des sauvages, des tailles de boîtes e-mails limitées à 2 Go. J’ai même vu l’un de ces petits jeûnots arrêter de travailler deux jours seulement après sa prise de fonction, sa boîte e-mail étant pleine de, m’a-t-il rétorqué, « docs multimédias super importants pour son job ».

Il a donc fallu caser un projet supplémentaire dans la liste déjà bien fournie : système d’information collaboratif : SIC. Tant qu’à faire, me suis-je dit, autant en mettre un maximum.
– « Ah, ils veulent du collaboratif, eh bien ils vont en avoir ! » ai-je expliqué devant mes équipes qui n’avaient pas besoin d’une charge de travail supplémentaire. Déjà que les délais ne sont pas tenus.

Nous avons quand même réussi à mettre en place les toutes dernières fonctionnalités : du push, du pull, du push-pull en mode alterné asynchronisé en temps bi-réel, du RSS, du podcast, du vidéocast (notre PDG adore montrer sa bobine chaque semaine sur les postes de travail). Nous avons aussi mis en place des portails par métiers, des forums, des agendas partagés multi-tâches interactifs, des communautés, des blogs, des commentaires (sans correcteur d’orthographe, c’est plus rigolo…), des votes, de la cartographie. Bref, la totale !

Et quel succès ! Dans les couloirs et à la machine à café, on ne parle que de ça. Entre ceux qui s’amusent avec l’application cartographique pour se situer en trois dimensions dans les bureaux et pré-réserver leur place pour les réunions (celles près des portes sont les plus demandées), ceux qui ont créé des blogs pour leur service et qui font la course pour décrocher la meilleure audience des articles les plus lus, ou ceux qui passent leur temps à commenter les textes de leurs collègues, notre intranet n’a jamais autant été sollicité.

Malheureusement, notre bel édifice s’est écroulé quasiment du jour au lendemain. Non pas que la direction des ressources humaines soit venue nous sermonner pour avoir distrait les collaborateurs qui passent désormais leur temps à commenter des commentaires déjà commentés.

Ou nous vilipender pour avoir favorisé les syndicats : c’est vrai que les blogs « FUC-you » de la Fédération unitaire confédérale, et « SOT-toujours », du Syndicat des ouvriers et travailleurs, sont les plus consultés. Non pas que la direction financière soit venue nous reprocher nos dépenses (on a utilisé des solutions Open Source), ni la direction de la communication pour avoir court-circuité le discours officiel au profit de circuits incontrôlables mais ô combien plus intéressants.

Non pas que la direction générale soit venue nous contester d’avoir resserré les liens entre les collaborateurs avec une bonne dose de Web 2.0 ; il ne manquerait plus que ça ! Notre vaillant PDG, Pierre-Henri Sapert-Bocoup, si téméraire devant les clients et les actionnaires, s’est dégonflé : il n’a pas apprécié d’être en queue de classement des votes.

Pour sa dernière contribution, dont il était très fier, sur « les dix best practices sur le capital humain et la gestion des talents en période de crise », à la question « cet article est-il utile ? », il n’a recueilli que 0,002 % d’opinions positives : la sienne et celle du dircom. Vexé, il a exigé la désactivation de la fonction vote sur tous les contenus de l’intranet. Dommage, nous étions vraiment dans le collaboratif : mais certains ne sont pas encore prêts et considèrent que le Web 2.0, c’est 2 pour eux et 0 pour les autres…