De temps en temps, entre deux réunions de comité de pilotage, il m’arrive de me plonger dans des lectures sérieuses. J’entends autres que les innombrables newsletters IT que nous recevons par mail tous les jours ou que les magazines sponsorisés par des fournisseurs « leaders sur leur marché selon le cabinet ForrestGartdata et son dodécagone magique ».
Pour les ignares, je vous rappelle que le dodécagone est une figure de géométrie qui comporte douze sommets et côtés, possède 54 diagonales et dont la somme des angles est égale à 1 800°. Si avec ça, on n’est pas leader sur au moins un des sommets. Bref, je me suis plongé dans la lecture d’un ancien numéro de l’excellent mensuel Le Monde Diplomatique (numéro de février 2012, dont je vous recommande la lecture), que j’ai retrouvé dans mes placards (pas celui dans lequel j’exerce mon métier mais celui qui contient des choses vraiment utiles). L’un des articles m’a d’emblée interpellé. Son titre, accrocheur : « Comment les tyrans prennent leurs décisions. » Ce sujet m’a semblé d’actualité, tant notre DG se comporte, non pas en dictateur, n’allons pas jusque-là, mais, pour rester politiquement correct, se montre pour le moins directif. D’aucuns diront qu’il est casse-c, certains que c’est une tête de c, d’autres que c’est un fieffé c. Remplacez la lettre « c » par ce que vous voulez, selon votre inspiration.
Cet article, basé sur la triste réalité de l’Irak de Saddam Hussein et de la Syrie d’El Assad, permet de lister les quinze caractéristiques des circuits de prise de décision dans des dictatures elles aussi « leaders sur leur marché selon le cabinet Nass-Yonzuni ». Si dans votre entreprise vous repérez ces caractéristiques, vous avez deux options : soutenir le régime ou mener la révolution. Dans les deux cas, vous êtes foutu : soit vous serez viré lors du prochain coup d’État des actionnaires, soit vous passerez pour un traître aux yeux de vos clients internes. Reste une voie de sortie : devenir vous-même un tyran. Je sens que certains d’entre vous brûlent d’impatience de savoir à quoi s’en tenir et comment passer du statut de victime à celui de bourreau. Voici donc les trucs, astuces et autres bonnes pratiques des meilleurs dictateurs du monde !
1. Bâtissez une bureaucratie centralisée, avec un fonctionnement pyramidal. Rien de tel pour contrôler tout ce qui se passe dans la DSI. C’est bien connu, l’esprit d’initiative et l’autonomie des collaborateurs n’amènent que des ennuis pour leur chef suprême.
2. Minimisez les ordres écrits : tout ce qui est consigné sur papier ou dans des e-mails pourra se retourner un jour contre vous. C’est bien connu, vous n’aimez pas la contradiction, surtout de la part de subordonnés. Et le langage oral facilite les petits arrangements entre amis.
3. Éliminez les ordres du jour pour chaque réunion : certes, cela contredit le premier principe (la bureaucratie centralisée) mais, là encore, c’est le meilleur moyen pour éviter que l’un de vos collaborateurs ne mette en exergue certaines incohérences, voire de franches contradictions dans vos actions et le suivi des dossiers.
4. Ne tolérez aucun point de vue pessimiste : il minerait le moral de tout le monde. Le mot d’ordre est donc de positiver.
5. Bannissez toute discussion sérieuse sur les sujets vitaux, source d’ennuis potentiels pour les chefs. C’est le risque que quelqu’un ait une bonne idée pour résoudre un problème (voir point 9).
6. Instituez le culte de la personnalité, c’est la moindre des choses : si vous êtes chef, c’est que vous le méritez ! N’allez tout de même pas jusqu’à afficher votre photo dans les couloirs de la DSI…
7. Ne freinez pas vos délires de grandeur, dépensez tout votre budget et ne lésinez pas sur les modules d’ERP ou de bases de données, ils serviront toujours un jour ou l’autre. Pensez également à faire appel aux consultants les plus chers.
8. Éliminez toute opposition et tout concurrent susceptible d’avoir une influence suffisante, c’est quand même vous le patron
9. Mettez systématiquement chaque mauvaise décision sur le compte de quelqu’un d’autre : par définition, le chef a toujours raison.
10. Soyez toujours détaché de la réalité, elle est souvent difficile à affronter. Laissez vos collaborateurs gérer l’intendance et les ennuis qui vont avec.
11. Adaptez-vous rapidement aux situations nouvelles… en changeant d’avis avec le plus d’aplomb possible.
12. Instituez des processus décisionnels imparfaits : la transparence est l’ennemi du tyran.
13. Face aux problèmes, privilégiez les solutions provisoires, cela permet d’agir vite et de créer l’illusion du dynamisme.
14. Établissez un système de récompenses et de sanctions pour vos collaborateurs, principe de base de tout régime autocratique.