Si en 2020, les fêtes de Noël et du jour de l’An ont été sacrifiées, il y a une tradition qui n’a subi aucun dommage : la publication, par les éditeurs de logiciels et les cabinets d’analystes de leurs prévisions pour 2021.
Les années précédentes, c’était déjà difficile, mais là, c’est un véritable exploit d’anticiper ce qui va se passer. Certes, la plupart des oracles ne se sont pas trop mouillés. Ils nous prévoient en effet, ce qui est facile à deviner, que le cloud va encore gagner du terrain, que la cybersécurité va susciter une attention plus forte de la part de nos directions générales. De même, on nous annonce une nouvelle ère marquée par la mobilité, l’hyperautomatisation, l’edge computing, l’informatique quantique, un boom des investissements dans le numérique, des consommateurs de plus en plus connectés, l’intelligence artificielle à toutes les sauces…
Sans oublier les modes hybrides : ce concept se révèle très pratique, car il permet de ne pas se mouiller puisque tout est mélangé et que l’on ne peut identifier les différents ingrédients. Je vous suggère de l’utiliser au quotidien et sans modération pour éviter de vous tromper et que l’on vous le reproche un jour. Votre stratégie IT sera donc, en 2021, basée sur une approche hybride, de sorte que vous pourrez mélanger n’importe quelles technologies, faire appel à n’importe quelles compétences, réaliser vos projets dans n’importe quel sens, chouchouter vos consultants préférés sur des missions sans objectifs précis et travailler avec des fournisseurs douteux… A chaque fois que l’on viendra vous reprocher telle ou telle action, vous pourrez rétorquer que le mode hybride comporte quelques inconvénients et que tout est normal… Si, en plus, vous accolez au terme hybride d’autres concepts tout aussi fumeux que « performance », « vision », « synergies », vous monterez d’un cran dans l’échelle de la reconnaissance de vos collègues.
Aujourd’hui, tout est hybride, et l’Académie française définit ce terme comme « ce qui est composé d’éléments d’origines ou de natures différentes. » Même Gartner le dit, avec son concept de « composable IT », résultat d’un assemblage de composants divers et variés. Il faudra s’habituer à ce que l’hybride domine la vie quotidienne de tous les DSI. Ainsi, il va falloir composer, en plus du cloud hybride, avec des budgets eux aussi hybrides, les réunions hybrides, les cahiers des charges hybrides (où la moitié du contenu est à jeter à la poubelle), le digital hybride (c’est évident…).
Si vous voulez corser l’affaire, introduisez les notions de « semi-hybride », de « post-hybride » (c’est la tendance après 2025, quand vous serez de toute façon partis à la retraite), de « pré-hybride » (les plus jeunes se souviennent de cette période), de « bi-hybride » (pour les écosystèmes bancals), de « para-hybride » (pour ceux qui font semblant), de « néo-hybride » (pour faire moderne), voire de « trans-hybride » (pour éviter les discriminations) ou « d’ex-hybride » (pour les plus nostalgiques). Sans oublier la « ré-hybridation » (pour ceux qui ont échoué et qui retentent leur chance), « l’endo-hybride » (qui est à l’intérieur d’elle-même), l’« hyper-hybride » (pour ceux qui sont à fond dans le processus). Quant à ceux qui hésitent, ils pourront se rabattre sur le « quasi-hybride » (avec des vrais morceaux dedans).
On trouve aussi des stratégies hybrides. Vous les connaissez également, lorsque votre direction générale envisage une approche, mais change d’avis quelques jours plus tard parce que le dernier qui a parlé a raison. Vous l’avez compris : l’hybride permet de faire une chose et son contraire en toute impunité. Si, en plus, vous mélangez hybride et innovation, on ne pourra plus rien vous reprocher, tellement c’est moderne. Ça sera si compliqué d’identifier les responsables des échecs que c’est une garantie de tranquillité pour toute l’année.
Sauf si vous êtes entourés de connards hybrides : cherchez bien, vous en avez dans votre entourage professionnel. On les reconnaît facilement, ce sont ceux qui, parfois, ont des lueurs d’intelligence qui peuvent nous faire croire, pendant de courts instants, qu’ils ont changé. Et comme aurait pu dire l’humoriste Patrick Timsit : « Y’a de plus en plus de cons hybrides chaque année. Mais en 2021, j’ai l’impression que les cons hybrides de 2022 sont déjà là… »
La prochaine fois que vous entendrez le mot hybride, rien ne sera plus comme avant…