Vive l’escape game

On voit de plus en plus fleurir des lieux dans lesquels sont proposés des jeux d’évasion (escape games pour les bilingues…). Rappelons le principe : des joueurs, regroupés par équipes, sont enfermés dans une pièce et doivent trouver les réponses à des énigmes, utiliser un certain nombre d’accessoires, déjouer les pièges qui leur sont tendus, bref, faire appel à leur imagination, à leur intelligence, à leur créativité et à leur habilité pour sortir au plus vite. Le tout en agissant de façon collaborative.

Comme on me demande régulièrement des idées pour mettre un peu d’ambiance dans ma DSI, j’ai décliné le concept d’escape game version gestion de projet. « Toi qui est un manager leader, trouve donc des idées pour remotiver tes troupes ! » m’avait lancé, il y a quelques semaines, notre DRH, toujours prompt à donner des conseils pour faire croire qu’il est en avance sur son temps (qui est d’ailleurs compté, si j’en crois les rumeurs en interne…).

Mais pour que l’exercice soit efficace, il faut créer un effet de surprise. J’ai donc réuni, un matin, toute l’équipe en charge de notre nouveau projet de Business Intelligence. Motif : faire un point de cadrage, et j’ai insisté pour que tout le monde soit présent. Et tout le monde l’était… Tant mieux !

Evidemment, toute l’équipe a pressenti que cette réunion ne ressemblait pas aux autres. D’abord, parce que j’ai confisqué tous les téléphones portables, officiellement pour que tout le monde soit concentré sur « ce point d’étape et de pilotage très important pour la réussite de ce projet stratégique auquel la direction générale tient beaucoup », ai-je précisé. Ensuite parce qu’ils ont cru qu’ils seraient tous virés pour incompétence notoire parce que notre projet de BI a accumulé de nombreux dysfonctionnements. Enfin, parce que nous ne nous sommes pas réunis dans la salle habituelle, très spacieuse, lumineuse et équipée de nombreuses fenêtres. Mais, au contraire, dans un endroit enclavé et relativement exigu, situé entre le local du stock de fournitures de bureau géré par les services généraux et le local syndical partagé par la FUC (Fédération Unitaire Confédérale) et le SOT (Syndicat des Ouvriers et des Travailleurs), jonché de gilets jaunes usagés. Officiellement, parce que c’était la seule salle disponible…

– Je vous ai réuni pour vous parler d’un nouveau concept, ai-je démarré.
– Ah bon ? on ne fait plus de la BI, mais du Big Data, pour faire moderne ? clame un développeur.
– Non, pas du Big Data, mais de l’intelligence artificielle, c’est plus classe ! a suggéré un autre.
– Augmentée, l’intelligence ! C’est encore plus à la mode, c’est le cabinet Gare-à-tes-nerfs qui l’a dit lors de son dernier Saint-Pozium ! a lancé le trublion de service.
Je les ai laissé s’exprimer avant de leur donner la règle du jeu.
– Le projet est dans l’impasse, vous devez trouver pourquoi et comment nous sortir de ce merdier, expliquai-je. Vous avez quatre heures…
– Chouette, c’est comme un Cluedo géant des projets ? demande le plus enthousiaste, un vrai geek qui a passé son enfance devant des jeux vidéo.
– Oui, sauf que ça serait trop facile de déterminer que c’est le chef de projet adjoint qui a tué l’expérience utilisateur avec une fonctionnalité contondante dans la bibliothèque de cahier des charges, leur expliquai-je.

Je leur donné la liste des indices laissé par les responsables de ce futur fiasco, si l’on ne fait rien : une série de slides de l’intégrateur, une collection complète de Best Practices et de Mickey Magazine, une note de cadrage peu lisible du fait de sombres tâches de café et un code source pas propre.
– Vous avez quatre heures, leur ai-je répété. A vous de trouver l’arme du crime, le mode opératoire, le coupable et le moyen de réparer les dégâts.

Et je les ai plantés là, dans cette sombre salle de réunion, sans téléphone ni connexion Wi-Fi (les murs sont trop épais). Finalement, ils se sont plutôt bien débrouillés. Ils ont réussi, au bout de deux heures, à identifier les incohérences dans le cahier des charges, le non-respect de certaines bonnes pratiques, pourtant connues, l’effet boule de neige que cela a eu sur la suite du projet et la meilleure façon de redresser la situation avant que la DG ne nous tombe dessus.

Lors du débriefing qui a suivi cet escape game, tout le monde a reconnu que ce qui avait fait la différence était la capacité à travailler en équipe pour résoudre les problèmes complexes.
– Vous voyez, quand vous voulez… L’intelligence collective a du bon !, ai-je conclu.
– Augmentée, l’intelligence ! n’a pu s’empêcher de répéter notre trublion de service.
Pour une fois qu’il ne sort pas une connerie…