Je me doutais bien qu’ils allaient me refaire le coup. J’ai déjà été échaudé une fois, comme certainement beaucoup d’entre vous. Rappelez-vous : pendant la bulle Internet, les directions métiers, séduites par les sirènes des Web agencies, ont voulu s’affranchir des DSI pour traiter directement avec les fournisseurs.
On sait ce qu’il en est advenu, de cette stratégie : les DSI ont récupéré le bébé et ont été contraintes de s’en dépêtrer avec les moyens du bord. Pour le meilleur, quelquefois, et, surtout, pour le pire, dans beaucoup de cas. Comme les bricoleurs du dimanche font appel le lundi à un plombier professionnel ou à un maçon qualifié, les DSI ont été appelés (voire convoqués) à la rescousse. Pour reprendre le titre d’un ouvrage qui vient de paraître sur huit siècles de folies financières : « Cette fois, c’est différent », nous disent tous les « observateurs ». Différent ? Cette fois, comme la dernière fois, je n’en suis pas si persuadé.
Chez Moudelab & Flouze Industries, c’est la direction marketing qui s’est fait prendre la main dans le SaaS. Figurez-vous que nos amis du troisième étage ont eu la bonne idée, enfin selon eux, de souscrire à une offre alléchante d’applications en mode SaaS pour gérer toutes leurs opérations commerciales. Certes, s’ils nous avaient consultés (ils ne l’ont pas fait, les malheureux), ils auraient probablement constaté que notre offre n’aurait pas été compétitive… C’est vrai que, au coût par utilisateur, on ne peut pas rivaliser si l’on prend en compte l’amortissement des licences et les coûts d’intégration. Toujours est-il que, depuis treize mois, ils ont souscrit en douce à cette offre tout à fait intéressante, reconnaissons-le. Quoi de mieux, en effet, pour un manager de haut niveau, qu’un coût fixe par utilisateur et une mise en œuvre quasi immédiate, là où les DSI sont le plus souvent incapables de s’engager et de tenir des délais raisonnables…
Je me suis souvenu de ce que m’avait dit un confrère DSI, confronté à la même situation. Il m’avait conseillé de surtout laisser faire les directions métiers et de ne pas m’emparer du dossier sous prétexte que c’est à la DSI de contrôler tout ce qui relève du système d’information.
– Tu sais ce qui va coincer dans cette belle mécanique ?
– Non… Les inquiétudes sur la sécurité ? La disponibilité du réseau ? risquai-je.
– Non, tu n’y es pas.
– Les utilisateurs qui vont vouloir personnaliser leur interface avec des trucs sortis de nulle part ?
– Tu brûles, mais cela n’est pas déterminant. Ce qui va coincer, c’est lorsque la direction générale va s’intéresser à ce service.
– Lorsqu’elle va constater que toutes nos données commerciales sont stockées on ne sait où ? Même si elle va être ravie car les coûts sont plus faibles, cela fait effectivement désordre.
– Hé non, la DG va trouver que cette application en SaaS est tellement pratique qu’elle va réclamer de plus en plus d’indicateurs et de tableaux de bord dans toutes les dimensions. Qu’il va falloir élaborer à la main !
J’imagine en effet qu’il va bien falloir trouver un volontaire pour effectuer cette tâche ô combien délicate : notre direction générale est en effet très consommatrice de chiffres, pour se rassurer sur l’état des affaires du groupe.
– En principe, les limites sont atteintes en moins d’un an. Au début, les outils de reporting standard de l’application font l’affaire, mais il arrive un moment où ça coince, avait ajouté mon confrère : dès que la personnalisation atteint un niveau au-delà duquel aucun éditeur ne s’engagera, puisque son modèle économique repose sur la nécessité d’imposer des offres standardisées au plus grand nombre. La DSI aura beau jeu de rappeler que des fonctionnalités de reporting sur mesure auraient pu être développées ou paramétrées pour un coût modique avec un progiciel du marché et un bon intégrateur.
C’est effectivement ce qui s’est passé : notre directeur marketing est venu la semaine dernière me questionner, au détour d’un couloir, sur l’existence d’une étude comparant les différentes fonctionnalités des solutions d’éditeurs de logiciels spécialisés dans le décisionnel.
– Pour quoi faire ? Tu étais jusqu’à présent très satisfait de ton tableur.
– Heu… Oui, mais il faut évoluer et automatiser encore plus notre reporting.
Le poisson est ferré ! Il ne reste plus qu’à attendre qu’il vienne quémander les ressources de la DSI. Il faut d’ailleurs qu’il se hâte, notre plan de charge 2011 est quasiment bouclé…