Les sorties scolaires ne s’improvisent pas. Heureusement. Les parents, informés au préalable, signent une autorisation et font confiance aux équipes d’enseignants. J’ai prévu d’emmener mes élèves de troisième verte à la Cité des Ramène-ta-Science de la Villette : une exposition sur la physique dans la vie quotidienne me semble tout à fait appropriée pour conforter les connaissances que j’inculque à ma trentaine d’élèves de troisième verte. Au moins, cela va les défouler ! Nous sommes presque à la fin du second trimestre et les élèves, tout comme les profs, ont besoin de sortir s’aérer l’esprit en dehors des quatre murs d’une salle de classe dont on connaît les moindres recoins.
Nous avons décidé d’emprunter les transports en commun. Josette Trouet n’est pas d’accord pour dépenser de l’argent pour louer un autocar. Les expériences passées ont en effet mal tourné. C’est souvent un cauchemar pour les profs accompagnateurs : entre les élèves qui ne supportent pas de rester plus d’un kilomètre dans un autocar sans reverser sur le tissu des sièges tout ce qu’ils ont ingurgité le matin, liquides y compris, ceux qui touchent aux boutons du tableau de bord, mettant définitivement le chauffeur de mauvaise humeur pour toute la journée, et ceux qui coincent les filles dans le fond du véhicule pour leur expliquer la physique des corps solides. En paroles, heureusement, encore qu’il y a eu un cas où une élève a définitivement compris le principe de la mécanique des fluides, en l’occurrence des flux de salive d’un récipient buccal à un autre.
Sur la trentaine d’élèves, quelques-uns doivent être surveillés, en particulier Élie Cauptère et Vincent Poursan, les deux comiques de service, pour leur promptitude à rebondir sur chaque situation et à entraîner les autres (les filles ne sont pas les dernières à suivre le mouvement). Jean Cerdan-Lengrenage, le prof de technologie, les a déjà vus à l’oeuvre, alors qu’il avait emmené la classe visiter une entreprise industrielle, Moudelab & Flouze Industries, une société spécialisée dans les pièces détachées industrielles, pour « les familiariser avec le monde de l’entreprise et du travail ». La cata ! On a retrouvé la moitié de la classe en possession de stylos, disquettes, souris d’ordinateurs, paquets de Post-it…, l’autre moitié, composée des plus bricoleurs sans doute, s’étant contentée de récupérer des pièces détachées en tout genre, tournevis et autres gadgets pour remplir leurs poches. Sans parler des toilettes de l’entreprise qui comportaient des graffitis douteux, absents avant la visite. Quant aux salariés de Moudelab & Flouze Industries, ils se sont plaints de l’augmentation significative du volume de décibels au moment du passage des élèves dans les différents services. Inutile de préciser que les élèves n’ont, ce jour-là, rien appris du « monde de l’entreprise et du travail ».
Nous avons pris le train devant nous mener dans le centre de Paris, un trajet d’une quarantaine de minutes depuis la gare de Vatexibé-sur-Seine. Quand tout va bien, il faut effectivement quarante minutes. Mais, ce jour-là, nous mettons pas loin de deux heures. Trois stations après notre départ de Vatexibé, ce que je prends pour de la politesse de la part de mes élèves conduit à en perdre quatre sur le quai, restés bouche bée alors que la rame s’ébranlait pour la station suivante. Ils sont en effet descendus sur le quai pour laisser passer des voyageurs parvenus à destination. Le problème est qu’ils ne peuvent pas remonter, du fait de l’affluence de la part de voyageurs qui se ruent pour grimper dans le wagon et bénéficier des meilleures places assises. Nous avons donc dû rebrousser chemin pour les récupérer. Je n’étais pas au bout de mes peines : arrivés à destination, l’un des élèves, accroché à son téléphone portable, fait tomber l’objet sur la voie. J’ai eu toutes les peines du monde à les empêcher de descendre le récupérer. Résultat : encore quarante-cinq minutes dans la vue, occupées à parlementer avec les agents de la SNCF.
Lorsque nous parvenons à la porte de l’Exposition, à la Cité des Ramène-ta-Science, une autre déconvenue nous attend : il est impossible de pénétrer dans les lieux.
« Fermeture anticipée pour cause de travaux », précise une affichette sur la porte d’entrée. J’avais omis de vérifier ce détail crucial.
– Les groupes scolaires doivent arriver au moins deux heures avant la fermeture, m’explique un vigile avec qui tenter de négocier équivaut à demander à un tigre affamé de se laver soigneusement les pattes avant de dévorer un morceau de viande fraîche.
Le retour est beaucoup moins mouvementé que l’aller, du moins de mon point de vue. Nous avons seulement eu droit, les autres voyageurs et moi, à une partie de cache-cache, à des chansons paillardes dont on ne comprend pas toujours les paroles et à un incontournable concours de pets.
La routine…