Dans confédération, il y a… fédération. Pour nous qui sommes sur le terrain, au contact quotidien des travailleurs, la Confédération est notre mère à tous. C’est du moins ce qu’elle voudrait nous faire croire. Oh, bien sûr, on nous materne à coup de prises de position, on nous cajole à coup de subventions, on nous caresse dans le sens du poil à coups de « vous êtes les vrais acteurs de la révolution sociale ».
Si je voulais dévoiler mes talents de poète, cela donnerait un hymne que l’on pourrait chanter sur fond de musique de rap :
Vous êtes les meilleurs,
Pour défendre les travailleurs,
Jamais hâbleurs,
Toujours à l’heure,
Vous n’avez jamais peur,
Vous avez du cœur…
Je me garde bien de proposer ce genre d’initiative littéraire à la confédération. J’imagine être accueilli plutôt fraîchement par les caciques de la FUC. Pourquoi ? Parce que, comme dans tous les partis politiques, comme dans toutes les organisations bureaucratiques, nous sommes victimes, et pas seulement la FUC, d’une double malédiction. La première, je l’appelle le «syndrome du Mont Saint-Michel », ce beau monument historique envasé avec le temps. Résultat : la mer, avec son apport de mouvements et d’oligoéléments, ne parvient plus à atteindre les remparts de ce noble fleuron du patrimoine mondial qui se retrouve isolé. A tel point qu’il faut engager des travaux pharaoniques pour le sauver de la dégénérescence. La FUC n’est certes pas encore inscrit au patrimoine mondial de l’humanité (sans h majuscule), mais le principe est tellement similaire ! Les caciques de la confédération auraient bien besoin d’être irrigués par des oligo-éléments-jeunes-générations. Faute de quoi, l’envasement dans le radotage congénital est inéluctable.
La seconde malédiction qui nous frappe est celle du « papy-boom inversé ». Non, il ne s’agit pas d’une position supplémentaire, et d’ailleurs très risquée, du Kama Soutra. On connaît le papy boom qui va vider la population active de ses éléments les plus âgés pour les remplacer par des plus jeunes, certainement moins nombreux mais ô combiens plus productifs ! Dans notre monde syndical, on assiste au phénomène inverse : plus le temps passe, plus nos instances syndicales sont dirigées par des représentants des générations dites « senior ». Je n’ai rien contre ces vénérables personnes, qui, en principe, ont accumulé une expérience très riche en matière de luttes syndicales. Mais il faut bien reconnaître que le monde a changé.
A la direction con-fédérale de la FUC, la moyenne d’âge frôle la soixante dizaine. Autant dire qu’on est plus proche des soixante-huitards que des nouvelles générations de la fin du XXème siècle. Et plus proche des contemporains de la Guerre froide que de la génération Internet ! Ajoutons à cela des niveaux de management qui se sont accumulés au fil des décennies, et on obtient une structure frappée d’immobilisme congénital. A l’image d’un commerçant avisé, celui qui a créé nos organigrammes syndicaux, a du penser : « il y a un peu plus, je vous le laisse ? ».
La FUC reste le symbole de ce que les géologues historiens appelleront plus tard la sédimentation multiculturelle intergénérationnelle qui se caractérise par une dégénérescence des couches supérieures du management inversement proportionnelle à l’âge moyen du capitaine. La confédération a la haute main sur les fédérations, qui se déclinent au niveau régional, départemental et local. Chez Moudelab & Flouze, nous sommes rattachés à la FENEASS-PD (FEdération Nationale des Entreprises Assimilées Sans Souci-Pièces Détachées). Dans chaque région, il y a un secrétaire général, qui pilote les unions départementales qui elles-mêmes supervisent les structures locales. Chez nous, c’est René Gaussier, mon prédécesseur chez Moudelab, qui officie au niveau départemental. Il ne supportait pas de partir en retraite, alors il a repris du service dans les instances dirigeantes de la FUC. Histoire, comme il dit « d’en remontrer aux petits jeunes qui veulent tout révolutionner dans l’action avec les travailleurs ». A 62 ans, c’est devenu une figure du syndicalisme… et l’un des plus jeunes.
– J’ai fait le calcul, la moyenne d’âge, au niveau confédéral dépasse allègrement les 65 ans, racontait-je à Henri Caumassiasse, pour une fois en veine de discuter avec moi.
– Chez nous, c’est encore pire. On a même deux pré-Alzheimer qui s’ignorent. Personne ne veut les virer. Le problème est que l’un s’occupe du budget et l’autre est censé piloter la stratégie en matière de revendications. Ils sont obligés de tout noter sinon ils oublient ce qu’ils ont décidé.
– A la FUC, nous n’en sommes pas là mais c’est tout comme. Le responsable confédéral chargé de définir la stratégie a presque soixante quinze piges et n’arrête pas de tout ramener à l’époque où il avait dix-huit ans, au début des années 1950. Pas moyen de lui faire passer des idées nouvelles : il ne démord pas de la ligne du syndicat établie au Congrès unitaire de 1957 à Mézytout-sur-Luy.
– J’en ai entendu parler quand j’étais môme, c’était dans mes livres d’histoire, se souvient Henri.
– En plus, le mode de fonctionnement de la Con-fédération n’est guère transparent. Ca aurait besoin d’un apport de sang neuf et jeune !
– Chez nous aussi. Ils sont aussi souples qu’un troupeau d’obèses dans un cours d’aquagym et aussi créatifs que les candidats de la StarAc à qui on demanderait de faire une phrase de plus de trois mots.
– Tu connais le principe des vases communicants ? lui demandai-je.
– Bien sûr, c’est l’même principe qu’l’apéro : l’eau va d’la bouteille au verre d’pastis, puis dans l’estomac, puis ça r’tourne dans la nature avant de r’venir dans la bouteille d’eau qui noie le pastis…
– Nous, on a adopté le principe des vaseux non communicants !!!
Et de partir dans un formidable éclat de rire. Au moins, sur le terrain, quelquefois, l’unité syndicale tient à peu de choses.