A vot’ bon coeur

Vous avez tous reçu au moins une fois un e-mail d’une personne inconnue qui vous veut du bien. Je ne parle pas de l’un de vos utilisateurs, de l’un de vos collaborateurs ou de l’un de vos collègues des directions métiers, et encore moins de votre DG.

Non, je parle de quelqu’un qui vous veut vraiment du bien ! Et vous verser plusieurs millions d’euros rien que pour vous faire plaisir… C’est la technique très ancienne dite du « spam nigérian », qui existait d’ailleurs bien avant Internet, avec le fax et le courrier postal.

En général, la personne qui vous écrit a hérité d’une belle somme d’argent, qui dort sur un compte bancaire dont elle est prête à vous donner les clés. Évidemment, c’est une arnaque. Mais pourquoi ne pas tester cette technique pour récupérer un peu de budget supplémentaire pour notre DSI ? Après tout, si les escrocs sévissent depuis plusieurs décennies, c’est que des pigeons se laissent prendre à cette arnaque, aussi grosse que le montant du chèque pour la maintenance annuelle des applications de l’éditeur « Au-Racle-Au-Désespoir ».

J’ai donc concocté mon « storytelling » comme on dit dans le marketing, à adresser à mon directeur général, de façon anonyme bien sûr : « Je vous écris car mon DAF bien-aimé a disparu dans des circonstances affreuses, emporté par un audit fulgurant suite à un soudain blanchiment de POT (Professionnalisons l’Optimisation des Transactions) qui ne lui a pas permis d’accéder au paradis (fiscal). Il a laissé plusieurs dizaines de millions de dollars qui dorment sur un compte en banque. De méchants éditeurs de logiciels veulent récupérer cette somme, mais je compte sur votre bonté pour que cet argent, durement gagné, ne finisse pas dans de mauvaises mains. Plusieurs consultants avant-vente rôdent déjà, à la nuit tombée, autour de mon domicile, prêts à tout pour faire main basse sur ce pactole… Vous comprendrez mon inquiétude ! Mes prières n’ont pour l’instant pas donné de résultats probants contre l’influence néfaste des esprits (pas toujours) malins de ces méchants prédateurs de budgets : c’est pourquoi je compte sur votre magnanimité, votre grandeur d’âme et votre générosité pour m’aider à faire œuvre utile, pour que cet argent profite à votre DSI qui, je le sais, a bien besoin qu’on le sorte du besoin. Afin de régler les différentes formalités, il vous suffit de procéder à un virement de deux millions d’euros. Je compte sur votre générosité pour une bonne cause et sur votre discrétion. Dieu vous le rendra au centuple ! » Bon, pour cette dernière phrase je n’en suis pas du tout certain…

Vous me direz, bien sûr, avec une approche aussi grossière, je n’ai absolument aucune chance de renflouer mon budget ! Voire… Vous avez entendu parler de « l’arnaque au PDG » ? Le principe est d’ordonner un virement bancaire en se faisant passer pour un dirigeant. Avec un talent de persuasion et une bonne connaissance des processus, l’arnaque fonctionne. Toutes les grandes entreprises en sont régulièrement victimes et certaines ont payé… Comme quoi, on peut être un dirigeant d’entreprise bardé de diplômes, payé des fortunes et se faire avoir comme un débutant… Au total, plus de 250 millions d’euros auraient ainsi disparu depuis 2010 des comptes d’entreprises françaises.

Au lieu de l’envoyer vers des comptes bancaires exotiques, cet argent aurait été bien plus utile pour financer nos projets… C’est bien la peine de nous reprocher quelques approximations dans le contrôle de gestion de nos budgets, de nous envoyer des auditeurs pour vérifier notre « compliance », de nous obliger à signer une « charte éthique » ou de pinailler sur quelques milliers d’euros qui se baladent entre deux lignes budgétaires…

J’ai quand même hésité avant d’envoyer ma lettre anonyme pour muscler notre budget. Car, comme le veut l’adage : « Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes… »