Comment intéresser les élèves pendant les cours ? À l’IUFM, lorsque l’on pose la question, on obtient, invariablement, la réponse suivante : « ça dépend ». En clair, on nous fait le coup de l’âge du capitaine ou du fût du canon qui chauffe. Combien de temps met un élève à s’intéresser à ce que lui raconte le prof ? Tout dépend de l’âge du prof (c’est un peu vrai, les plus âgés sont avantagés), ou « un certain temps », nous répond-on. Nous ne sommes pas plus avancés !
J’ai lu plusieurs ouvrages de pédagogie sur le sujet : mes parents, très fiers que je me sois engagé dans la voie royale de l’enseignement, m’ont offert tous les classiques : depuis « Pédagogie pour les gros nuls qui ne veulent pas le rester » jusqu’aux incontournables « Principes de motivation de ceux qui ne vont pas tarder à s’intéresser à ce que vous dites », écrit par un professeur qui doit avoir aujourd’hui plus de quatre-vingt-dix ans et qui ne s’est jamais aperçu que ses élèves s’endormaient durant ses cours de philosophie.
Face à une population quelconque que l’on veut captiver, un ami journaliste m’a affirmé : « raconte-leur des histoires ! Du vécu, du quotidien, du people ». Et de me citer l’exemple de la télé-réalité, qui bat des records d’audience. Pourquoi pas ? Heureusement, je ne suis pas parmi les plus mal lotis. La physique-chimie recèle une bonne dose de concret. J’ai la tâche relativement plus facile que les profs de mathématiques, qui ont bien du mal à expliquer à des élèves en pleine crise d’adolescence l’application concrète de la trigonométrie. Ou que les profs de philosophie, gênés aux entournures lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi Platon et Aristote n’avaient pas d’e-mail pour chatter en toute tranquillité.
Il paraît que nous, profs, devons favoriser l’innovation pédagogique. C’est en tout cas ce que nous répète Josette Trouet à longueur de réunions (et des longueurs, il y en a…). J’ai donc décidé d’inventer l’école-réalité dans ma modeste matière. Pour mon module de cours consacré à la sensibilisation à la sécurité routière, afin d’expérimenter le calcul de la vitesse moyenne d’un motocycliste, j’ai trouvé un volontaire, habitué, m’a-t-il affirmé, aux rodéos de scooters dans l’une des cités HLM de Vatexibé-sur-Seine. Toute la classe s’est donc déplacée (« sortie pédagogique d’éveil à la nature », ai-je expliqué à Josette Trouet, inquiète de me voir quitter la salle de cours) sur le parking du supermarché voisin où Thibaud Tussey a réuni ses « potes » pour une petite démonstration du « si-tu-vas-trop-vite-tu-te-vautres-grave ». Bien mieux qu’une collection de formules indigestes écrites au tableau ! La preuve : tous mes élèves ont désormais parfaitement compris le principe et le mode de calcul de la vitesse moyenne d’un mobile sur un parcours.
De retour au collège, afin de démontrer les effets d’une action liée à la masse d’un corps, j’ai fait grimper une demi-douzaine d’élèves sur l’une des tables qui, il fallait s’en douter, s’est écroulée en moins de cinq minutes. Là encore, ils ont parfaitement compris le phénomène de l’attraction terrestre. Je n’ai même pas eu besoin d’en pendre un à un ressort au plafond pour démontrer que la déformation du ressort est d’autant plus grande que le poids de l’objet (en l’occurrence Vincent Poursan, atteint d’une légère surcharge pondérale) est important.
Ils ont beaucoup aimé les expérimentations d’école-réalité. À tel point qu’ils ne conçoivent plus un seul point de cours qui ne fasse pas l’objet d’une expérimentation. Lorsque j’ai expliqué le principe des forces et de la matière, Pierre-Jean Méhune et Gérard Manmal ont mis en pratique : le premier a placé un crochet du droit au second, qui en a conservé un coquard du plus bel effet pendant dix jours. Il avait allègrement confondu un ion avec un gnon.
– Ben, M’sieur, le mouvement de mon bras a eu la même direction et le même sens que la force qu’il représente, non ?
Excellent ! En voilà un qui a retenu son cours.
Je n’ai toutefois pas poursuivi plus loin, notamment pour l’interprétation de l’attaque des métaux par l’acide chlorhydrique, cela risquait de virer à « Star Wars ». Je l’ai compris lorsque j’ai abordé les principes de la combustion avec le test de déformation à la température ambiante : le polyéthylène téréphtalique des bouteilles plastique, que tous les élèves avaient amenées, n’a évidemment pas résisté au briquet et la salle de classe a été remplie d’une épaisse fumée toxique. J’ai également évité de jouer avec l’électricité depuis que nous avons fait sauter les compteurs électriques de tout le collège en bricolant une prise de la salle de classe, alors que les élèves voulaient savoir pourquoi le fil bleu n’avait pas la même couleur que le fil vert.
L’école-réalité a tout de même ses limites…