Puisque c’est la mode de « balancer » ou de « dégager » tout et n’importe quoi, pourquoi ne pas en profiter ? On pourrait, par exemple, commencer par moderniser l’une des approches que tous les DSI et tous les métiers ont, un jour ou l’autre, mise en œuvre.
Je veux parler des POC. Pour ceux qui l’ont oublié, le POC est l’acronyme de Proof of Concept et non pas, comme certains esprits tordus pourraient le penser, « Plantage Organisé du Changement » ou « Partons Oublier le Cloud »… Il ne s’agit pas, bien évidemment, de contester l’utilité de cette approche qui consiste à essayer pour voir si ça marche. C’est même la base de toute innovation, sauf pour ceux qui sont blindés de budgets à ne plus savoir qu’en faire.
Il n’empêche : dès que l’on envisage de réaliser un POC, les métiers traînent des pieds, arguant le plus souvent du fait qu’ils n’ont pas le temps de s’y impliquer à fond, que ça coûte cher et que, de toute façon, leur choix de solution étant déjà acté, les éventuelles imperfections seront gérées directement en production. Toutefois, mes équipes restent excessivement prudentes et recommandent de tester avant d’acheter. C’est vrai qu’elles ont été échaudées à plusieurs reprises par des plantages retentissants qui leur sont retombés dessus, selon le principe que la DSI est toujours responsable.
Je préfère remplacer le POC par un concept beaucoup plus vendeur, celui de bande annonce. Certes, vous ne manquerez pas de me faire remarquer qu’il n’y a aucun rapport entre « Balance ton POC » et le cinéma. Mais si… Car les ingrédients sont les mêmes !
Comme une bande annonce, un POC doit résumer les moments clés (les jalons et les livrables associés à tout bon projet…), présenter les répliques cultes (les fonctionnalités qui vont tenir en haleine les utilisateurs et les surprendre…), montrer qu’il y a de l’action (donc que la DSI ne reste pas inactive et que ses équipes se bougent pour les métiers…), mettre en valeur les acteurs principaux (le DSI en tête, parce que l’on adore figurer en haut de l’affiche), faire court (adieu les POC de 18 mois…) et faire durer le suspense (« bientôt sur vos écrans de smartphones, de PC, de tablettes… »). Sans oublier l’incontournable son Dolby Surround, parce qu’il faut bien que la DSI reste audible par rapport à tout ce que les métiers ingurgitent comme discours technologiques plus ou moins foireux…
Quant à savoir comment est réalisé le film/projet, peu importe. Comme la plupart des spectateurs, la plupart des utilisateurs s’en fichent. On peut donc recourir à des armées d’intermittents du spectacle, autrement dit des consultants payés à la journée. Dont certains auront besoin d’être maquillés avant d’entrer en scène, surtout en cas de sous-traitance de sous-traitance pouvant conduire à délit de marchandage ou de prêt illicite de main-d’œuvre.
On peut également recourir à des effets spéciaux, qui blufferont les utilisateurs, avec des interfaces originales. Il faut quand même y aller doucement, côté effets spéciaux, pour les explosions de coûts, les collisions de responsabilités, les poursuites endiablées d’objectifs inatteignables, les cascades de livrables et les hold-up spectaculaires de queues de budget.
De même, les utilisateurs n’ont pas besoin de savoir combien de prises a demandé telle scène, autrement dit combien de réunions de comités de pilotage ont abouti à de bons compromis pour produire des résultats à la hauteur des attentes des métiers. Ni de savoir quelles méthodes ont été retenues pour le mixage des composants technologiques, la postproduction et l’étalonnage des paramètres des différents modules applicatifs.
Comme au cinéma, l’essentiel est que les utilisateurs soient contents et applaudissent. Et qu’ils fassent fonctionner le bouche-à-oreille pour conforter la réputation du DSI-metteur en scène. Car, inévitablement, cela attirera de riches producteurs-DAF, avec leur chéquier, qui voudront financer un remake ou un cross-over…