Après plus de quinze ans comme DSI, j’avais encore des illusions. Notamment envers les consultants en stratégie. Notre direction générale fait régulièrement appel aux plus grands cabinets, en particulier Mackinesairien (pour ceux qui veulent compléter leurs collections de slides) et le Baston Consulting Group (pour les projets difficiles).
Et moi-même, j’ai déjà eu recours à leurs services. Il m’avait semblé, en observant la succession des missions pour définir la stratégie système d’information, que c’était toujours les mêmes consultants qui opéraient dans nos locaux alors que, en réalité, ce n’était pas les mêmes. Peut-être ma mémoire me jouait-elle des tours tant j’étais persuadé que l’habillement, les mimiques, les tics de langage et les comportements de nos chers consultants étaient similaires ?
J’ai aujourd’hui la réponse ! Et ce n’est pas ma mémoire qui flanche. S’il m’avait semblé que tous les consultants se ressemblaient tant, c’est que c’était bien la réalité. Une étude réalisée il y a quelques années, mais probablement toujours d’actualité, nous en avait approté la confirmation et, par là-même la confirmation que mes capacités mentales ne sont pas altérées.
Réalisée par WIT Associés, cette étude dressait le portrait robot du consultant en stratégie à partir de l’analyse de 219 CV. « Les consultants en stratégie ont des profils presque à l’identique, très marqués par l’élitisme de leur parcours, par leur réussite académique et par leur formation », nous explique-t-on. Leur parcours ? Écoles d’ingénieurs et écoles de commerce à 50-50. Et ils ont presque tous un bac scientifique (90 % sont titulaires d’un bac S). L’étude montre également l’élitisme des grandes écoles parisiennes (HEC, Polytechnique et Centrale Paris notamment) dans le parcours des consultants : 86 % des consultants diplômés d’écoles de commerce sont issus d’une de ces écoles parisiennes, 80 % pour les consultants ingénieurs.
Pire, même dans leur vie privée, ils sont quasiment tous pareils. Ils sont surreprésentés dans la pratique de la voile (16 % des consultants en font, contre seulement 3 % de la population), de la plongée (10 % contre moins de 1%), et du golf (10 % contre 1,5 %). Je comprends mieux : la voile, c’est pour pouvoir changer leurs slides en fonction du sens du vent… La plongée, c’est pour être performant quand il s’agit d’aller à la pêche aux avenants… Et le golf parce que Rolex et BMW sont des sponsors officiels de la fédération française de golf…
Et ces mêmes cabinets de conseil en stratégie vont nous faire croire qu’ils ont les meilleurs ? C’est probable si l’on veut que tout le monde agisse de la même manière, applique les mêmes stratégies et ressasse les mêmes arguments pour justifier tout et son contraire. Il y a plusieurs décennies, c’était certainement pertinent… Il y a plusieurs années, peut être aussi.
Mais aujourd’hui, de quoi a-t-on besoin à tous les niveaux de l’entreprise ? De créativité, d’innovation, de différenciation, d’agilité, d’idées originales, et de consultants dotés d’une culture générale autrement plus profonde que celle de l’étude des mathématiques… Bref de tout ce que ne proposent guère nos consultants en stratégie, malgré leurs têtes de vainqueurs…
En sont-ils conscients ? Si oui, il va falloir qu’ils adaptent sans plus tarder leurs offres et, surtout, que leur mode de recrutement consanguin soit remis sérieusement en cause. Sinon, c’est plus grave : un cabinet de conseil en stratégie qui n’a pas pensé à « revisiter » (comme ils disent) sa propre stratégie, ou à la « disrupter », c’est à désespérer…