DAF tête à baffes

Aujourd’hui, c’est ma fête : la Saint-Hubert. Je n’y tiens pas particulièrement. Personne ne me la souhaite plus depuis longtemps à part des collègues tombant subrepticement sur l’information une année et l’oubliant l’année suivante. Ce n’est pas grave.

Pourtant la journée s’annonce maussade. Le temps prévu alterne précipitations et éclaircies, avec des orages en soirée.

Je suis en pleine phase de préparation budgétaire. Tous les acteurs de l’entreprise doivent me remonter leurs estimations de ressources pour l’année prochaine à la fois pour les dépenses de fonctionnement et les investissements. Cette activité n’est pas la plus palpitante, loin s’en faut. Par contre, elle nous met, nous DAF, inéluctablement au premier plan. Cela n’est pas pour faire plaisir à tout le monde. Nous devenons le gendarme des finances de l’entreprise. La peur du gendarme est encore bien présente. Elle engendre en temps normal un respect, une retenue vis à vis du gardien des lois. Et bien, pas aujourd’hui. Je ne sais pas ce qu’ils ont tous, mais ils sont déchaînés. Peut-être l’influence de la lune ou du temps orageux.

Mon premier rendez-vous à 9h avec Xavier-Martin Laville commence ainsi :

– Vous êtes extraordinaire vous les DAF. Vous nous demandez 6 mois à l’avance ce que nous allons gagner et dépenser pour l’année suivante, sans même savoir quel résultat on fera cette année. Alors que vous ne publiez les résultats que trois mois après la clôture de l’exercice. ! C’est extraordinaire.

Oups ! Je suis mal. Que répondre à cela ?

– Ceci n’est pas le propos. Nous devons soumettre un budget à notre prochain conseil d’administration et il ne nous reste que dix jours pour finaliser l’exercice.

– Soyons sérieux Porting. Si encore nous avions un  »business plan », on pourrait éventuellement s’y référer. Mais là, nous n’avons aucune stratégie de fixé à court, moyen et long termes. Aucune hypothèse de travail n’est établie. Nous sommes dans les figures libres et moi j’ai autre chose à faire que de remplir des tableaux de chiffres qui n’ont ni queue, ni tête. Alors, tu prends mon budget de l’année dernière, tu fais moins 10 % et cela fera l’affaire.

Le deuxième rendez-vous à 10h est avec T.Laur, d’habitude calme avec ses collègues de l’encadrement. Il lui arrive, par contre, de piquer des colères noires avec ses équipes. Pression de l’opérationnel oblige.

– Vous nous avez fixé comme contrainte budgétaire pour l’année prochaine -10% pour tout le monde ?

– Oui, effectivement. Nous devons faire des gains de productivité » lui répondis-je sereinement car je savais que l’objectif venait de tout en haut.

– C’est ridicule et stupide. Nous faisons des gains de productivité année après année. Là, vous nous obligez à réduire notre budget de 10% alors que notre production va augmenter de 30%, avec le contrat asiatique. Aussi, si nous maintenons le budget actuel, ce dont je suis incapable, nous aurons déjà des gains de productivité supérieurs à tous ceux que nous avons eu jusqu’à présent. Alors réduire de 10%, c’est de l’hérésie !

Que répondre à cela ? Heureusement à 11h, je rencontre la DRH, Françoise Plansoc. Je la connais bien, je l’apprécie et elle ne peut que m’accorder un break. Pas du toutt

– Henri. Je préfère te le dire tout de suite. Je peux comprendre que l’entreprise doit faire des efforts. -10% c’est dur, mais je ne discute pas. Ce que je trouve totalement absurde, c’est que tout le monde soit logé à la même enseigne. Nous qui n’avons pas assez de ressources, nous devons réduire de 10% notre budget alors que les divas du marketing, de la communication et les commerciaux ont la même contrainte alors qu’ils ont beaucoup de gras. Facile pour eux. Cette décision, soit disant égalitaire est fondamentalement injuste.

Elle n’a pas tout à fait tort. Il est vrai que cette déclinaison de l’objectif global répercuté tel quel en objectifs de services à quelque chose d’extrêmement simpliste, reconnaissons-le. Et pourtant tout le monde le fait.

A 12 heures je reçois Olivier Séhiaud, notre DSI. Avec lui, le problème, c’est que j’ai besoin d’un traducteur. Il va me parler de l’acquisition d’un nouvel outil d’ILM, d’un EAI sans parler du remplacement de nos PABX. Le rendez-vous s’annonce toujours difficile avec les DSI, malgré mon expérience du domaine.

Eh bien, pas du tout. Tout a été clair. Et même très clair. En phase avec les précédents. Ils se sont concertés. Ce n’est pas possible autrement !

OS a enfin profité des avantages sociaux offerts par l’entreprise pour se rapprocher de notre RH.

– Votre -10% pour tous est grotesque. Avez-vous imaginé un seul instant qu’en augmentant de 30% mon budget informatique, nous pourrions réduire de 15% tous les autres budgets ? Investir pour réduire. Vous savez parfaitement qu’il y a des effets de bord entre les services en particulier pour l’informatique, fonction de support par excellence. Ce genre d’objectifs est synonyme de  »paupérisation managériale ». Vous nous amputez intellectuellement, Porting. Vous faites tout pour que nous ne réfléchissions pas. La preuve : avez-vous, ne serait-ce qu’une seule fois, posé la question suivante : que pourrais-je gagner si j’investissais en informatique ?

Je n’ai jamais vécu une journée pareille. A croire que mes collègues pensent que je joue au con. Pas du tout. Je fais ce que tous les DAF du monde font. Pourtant, j’avoue que les arguments de mes collègues sont défendables. J’ai d’ailleurs eu tellement de mal à répondre à ses salves répétées que j’en suis tout groggy. J’ai pris la plus belle série de baffes de toute ma vie.

Atteint d’une migraine aussi soudaine que douloureuse, je décide de dire à ma secrétaire que je rentre à la maison. Mais c’est papa que je veux passer voir. Il me donnera bien, en bon cartésien qu’il est, un de ses bons conseils.

En partant, elle me dit :

– A propos, bonne Fête Monsieur.

Oui, cela a été vraiment ma fête ! Tayot, tayot, tayot, c’est l’hallali pour ce bon Hubert ! A en croire l’adage :  »Le problème, à notre époque, c’est que les vieux cons sont de plus en plus jeunes ! »

– Monsieur Porting ! Monsieur Porting !

Otto Rüth, le chauffeur du Président me rejoint à l’entrée du parking.

– Oui, lui lâchais-je, en me promettant de l’envoyer paître avec sa demande de budget.

– Le Président est parti tout à l’heure en voiture.

– Et alors ?

– Ben, il est parti un peu vite et il a accroché la votre.

Décidément, comme le dit toujours mon père :  »quand ça ne veut pas… ça ne veut pas ! »