De la transparence à la DSI ? Oui, mais pas trop…

Ça y est ! La direction générale, appuyée par son allié objectif notre bien-aimé directeur financier, nous a demandé davantage de transparence. Crise oblige, m’a-t-on indiqué lors du dernier comité de direction consacré aux perspectives pour les douze prochains mois. Et les perspectives ne sont pas bonnes…

Déjà que beaucoup de directions générales dégainent leurs plans d’économies à la simple évocation d’un possible excès de faiblesse du marché, dès que le mot « récession » se retrouve à la Une de tous les journaux, c’est le sauve-qui-peut à tous les étages ! Les actionnaires risquent de se révolter, les salariés de réclamer des augmentations de salaire pour conserver leur pouvoir d’achat, les clients d’aller voir ailleurs, les partenaires de traîner les pieds et les sous-traitants de mettre la clé sous la porte…

Il est vrai que le slogan que j’avais inventé il y a quelques années pour redorer le blason de la DSI a aujourd’hui comme un goût amer. Et l’effet boomerang s’est enfin concrétisé : plein la gueule ! Il faut dire que j’avais communiqué très largement en m’inspirant d’un célèbre slogan publicitaire : « Qu’est-ce que la DSI a fait pour vous aujourd’hui ? » Bien sûr, on s’en doute, je me suis attiré tous les quolibets des directions métiers et des utilisateurs, qui y sont tous allés de leurs blagues vaseuses. J’ai tout entendu : « Ben rien, comme d’hab !», « un lot d’emmerdes, comme d’hab !», « une tonne d’agressivité, comme d’hab ! », « des bogues dans nos applications métiers stratégiques et critiques ! » Ceux-là n’ont pas ajouté « comme d’hab » mais le cœur y était. Comme d’hab…

Il n’empêche : la direction générale m’a demandé de mettre en place un mécanisme de refacturation de tous nos services. Voilà une bonne idée ! Que chaque direction métier, qui a tendance à considérer que la DSI ressemble plus à un mécène ou à un lieu où l’open bar est systématique, et pas que pour les bons clients, passe enfin à la caisse. Je me suis donc rangé aux desiderata de notre direction générale. Jusqu’à présent, nous avions un système simple mais terriblement pervers : un budget annuel attribué par la direction générale, au titre des « frais généraux pour les centres de coûts », dixit ce qui figure dans nos documents budgétaires. Hélas, chaque direction métier a tendance à considérer que la totalité du budget doit lui revenir. Résultat : lorsque l’on additionne tous les projets qui sont demandés aux équipes informatiques, cela représente tant d’années-hommes qu’il m’a fallu élargir la taille de mes cellules Excel pour tout faire rentrer. La volonté de la direction générale m’arrange. D’abord, parce que ceux qui consomment vont avoir une douloureuse en fin de mois qui va leur faire prendre conscience de la valeur des choses, fussent-elles immatérielles ! Ensuite, parce que je vais mettre fin aux redoutables pratiques de copinage qui font que l’on se demande toujours pourquoi tel projet avance plus vite qu’un autre. Et pourquoi, lors des opérations de refontes de nos applications, on découvre des fonctionnalités qui ne sont documentées nulle part car développées sur un coin de bureau « pour-rendre-service-parce-que-sinon-on-ne-peut-plus-travailler ».

Enfin, cette refacturation devrait me permettre de renforcer mon influence. Après tout, pourquoi seul le directeur financier, personnage le plus craint chez Moudelab & Flouze Industrie, « groupe leader sur son marché des pièces détachées industrielles », serait-il le seul à être courtisé, et pas seulement lors des périodes de négociations budgétaires ? Cela dit, je me doute que cette transformation ne sera pas aisée. D’une part, cela suppose un changement rapide dans les mentalités des managers qui n’aiment pas que le gratuit, ou ce qu’ils considèrent comme tel, devienne subitement payant. Surtout que je m’attends à des quolibets style : « Le PC que tu nous factures est trois fois plus cher que ceux que l’on trouve chez Auchan ! » ou « Pourquoi payons-nous plus de 29,99 euros par utilisateur nos connexions Internet ? ». Ces attitudes vont me demander, ainsi qu’à mes équipes, un énorme effort de pédagogie pour expliquer que nos services sont « à valeur ajoutée ». D’autre part, il va nous falloir décomposer nos coûts très finement, de façon à éviter que des prestataires, appelés à la rescousse par nos chers clients internes, ne viennent casser artificiellement les prix. Là, j’avoue que c’est ce qui me gêne le plus. La transparence a quand même ses limites.