J’ai trouvé mieux que la caféine pour me tenir éveillé. Et beaucoup moins cher ! Un téléchargement de quelques secondes suffit. J’ai en effet parcouru un document qui n’est pas récent (il date de 2016) mais qui est toujours instructif : il s’agit d’un rapport de la Cour des comptes sur la gestion de l’AP-HP. Vous vous en souvenez peut-être, cette organisation a fait l’objet de nombreux articles pour expliquer que 80 millions ont été perdus suite à des dysfonctionnements dans le système d’information.
J’aime en particulier le chapître où il est question du recours aux consultants. Certes, il en faut, mais je me suis toujours demandé pourquoi on fait appel à des consultants juniors pour définir la stratégie d’une entreprise ou d’une organisation. Les directions générales et les comités de directions ne sont donc pas capables de tracer la route stratégique ? Car il n’y a pas cinquante possibilités, il n’y en a que deux : soit la DG est visionnaire et, dans ce cas, on imagine mal pourquoi des consultants juniors vont s’imposer, même s’ils peuvent être utiles pour des tâches fastidieuses (la veille, la revue des solutions technologiques ou l’analyse des concurrents par exemple). Soit la DG n’est pas capable de définir une telle vision stratégique et, dans ce cas, on se demande qui a eu la bonne idée de les nommer à ce poste fort lucratif.
Dans le document de la Cour des comptes, on trouve des montants que l’on aimerait bien avoir au crédit de notre budget. Par exemple, la directrice générale a cru bon de dépenser 1,8 million d’euros pour du « conseil stratégique ». À côté, les 70 000 euros dépensés pour « le coaching de la directrice générale » font pâle figure… Au-delà des montants (un cabinet de conseil s’est gavé, à lui tout seul, de 2,4 millions d’euros), la Cour des comptes met en exergue les cinq pratiques que l’on retrouve dans quasiment toutes les entreprises :
- Des besoins mal définis en amont : ainsi un cahier des charges « comportait trois modules dont la description était relativement succincte. » On s’étonnera que le nombre de jours/hommes ait dérapé à mesure que l’on découvre de nouveaux besoins ! Et d’enrichir encore plus les consultants… Ce qui est joliment transcrit par la formulation suivante : « Cela laisse une grande marge de manœuvre aux contractants pour compléter la définition du besoin dans le cahier des charges d’éventuels marchés subséquents. » En clair, comme dirait James Bond, c’est « Licence to kill the budget… ». Et comme disait le philosophe chinois Yâki Lâ Tsou : « Le subséquent est l’avenir du conseil. »
- L’acceptation de prix de journée délirants : pour un contrat, un junior était facturé 1 890 euros par jour (l’équivalent du salaire mensuel d’une infirmière) et un consultant senior 4 950 euros, qui a quand même eu la bonté de rester en dessous de 5 000 euros pour éviter que ça se voit trop… Et encore, il ne s’agissait que d’une mission « d’appui à la définition d’une stratégie ». On n’ose pas imaginer les tarifs pour mettre en œuvre ladite stratégie…
- Des délais trop courts pour la remise des offres : c’est pratique, cela permet d’éviter que des petits cabinets de conseil soumissionnent et se positionnent comme moins chers et plus efficaces. Autant rester chez les grands du conseil en stratégie. On sait que ça coûte une blinde, mais personne ne viendra reprocher de choisir McQuisaitout, Baston Consulting Grave ou Ernest & Lejeune… Surtout s’ils peuvent choisir eux-mêmes le nombre de jours à facturer : « Les candidats ont déterminé le nombre de jours nécessaires pour atteindre les objectifs attendus, ce qui a ultérieurement faussé le choix des offres. » Pratique et potentiellement lucratif…
- Un manque de suivi dans l’exécution des prestations. Entre un livrable qui « se limite à six tableaux décrivant de façon succincte les étapes du plan de transformation », un autre qui est une « reprise quasi à l’identique » d’un document précédent et un troisième qui a été « validé par le siège alors qu’il n’avait été que très partiellement effectué », ça fait beaucoup. La technique classique de refiler à un client ce qu’il a déjà a aussi bien fonctionné, selon le principe « donnez-moi votre montre, je vais vous dire l’heure » : « Tant l’identification des problèmes que la proposition des solutions auraient pu être élaborées en interne. En effet, le consultant se réfère souvent aux données produites par l’établissement. » Dommage…
- Une sous-valorisation des compétences internes : en principe, avant de sous-traiter, on regarde si l’on dispose des ressources pour faire en interne. Ça, c’est la théorie : à l’AP-HP, assure la Cour des comptes, « les cadres supérieurs administratifs et financiers de l’AP-HP sont de très haut niveau. » Pas suffisamment apparemment, puisqu’il a fallu aller chercher des consultants sûrement de « très très très très haut niveau » (chaque « très » coûte 1 000 euros par jour).
Bonne nouvelle quand même : certains consultants ont accepté de revoir leurs tarifs à la baisse. « Un effort commercial », selon la Cour des comptes. Ouf, nous voilà rassurés : l’éthique, la déontologie et le professionnalisme reprennent toujours le dessus !