Pendant très longtemps, j’ai eu des scrupules quant à la qualité des applications que nous livrons régulièrement pour satisfaire les besoins des métiers. Des scrupules, notamment, sur la présence de multiples bugs qui nous auraient échappé. Cela fait effectivement très mauvais genre et nuit à notre image, qui n’en a vraiment pas besoin. Et les métiers ne se privaient pas de nous faire remarquer que, souvent, la qualité totale n’était pas au rendez-vous.
Mais ça, c’était avant… Avant que les dirigeants de la SNCF ne nous fournissent les clés pour se dépêtrer d’une situation embarrassante sans passer pour des guignols. Avec un bel exemple, le lancement de la nouvelle application SNCF Connect qui remplace Oui SNCF, pour simplifier la vie des voyageurs. Sur le papier, tout aurait dû bien se passer. Mais…
Le Figaro du 28 février 2022 expliquait : « L’opérateur ferroviaire a voulu aller trop vite, toutes les fonctionnalités n’étaient pas prêtes au démarrage. » Le PDG de SNCF Voyageurs a reconnu (dans Le Parisien du 28 février 2022) que « le lancement a été trop brutal ». J’imagine que si j’étais allé devant notre comité de direction pour affirmer : « Notre prochaine application stratégique, celle que tous nos clients vont utiliser, je vais la lancer très vite, voire brutalement sans que toutes les fonctionnalités ne soient prêtes », j’aurais assisté à une levée de boucliers et j’aurais pu aller grossir les rangs de Pôle Emploi. A la SNCF, ils ont dû dire : « Trop vite ? Trop brutal ? Pas finie ? Allons-y, soyons fous, on verra bien… » Effectivement on a vu.
Mais cette affaire a au moins un avantage pour tous les DSI : la SNCF nous sert sur un plateau les éléments de langage que nous pourrons utiliser pour clouer le bec de tous ceux qui vont venir nous casser les pieds. En appliquant dix règles simples.
Règle n° 1 : dire que, certes les problèmes existent (on ne peut de toute façon pas les cacher…), mais qu’ils seront corrigés. Application pratique : « Tous les bugs seront réglés d’ici fin xxx (mois, années, calendes grecques, au choix), nous réfutons l’idée d’échec de cette nouvelle application. »
Règle n° 2 : rappeler que les bugs, c’est normal. Application pratique, par le professeur Fanichet, accessoirement patron de SNCF Voyageurs : « Nous avons 200 personnes sur le pont pour régler les bugs et ajouter les fonctionnalités manquantes, toutes les applications connaissent des bugs ». Ben non, il y a en a beaucoup qui n’en ont pas.
Règle n° 3 : soutenir que, évidemment, les bugs n’étaient pas prémédités (il ne manquerait plus que ça…). Application pratique : « Ce n’est bien sûr pas ce que nous avions prévu. Nous avons réalisé un changement important, que j’assume. » Et la gestion du changement, elle était en grève ?
Règle n° 4 : dire que c’est la faute des utilisateurs. « Le fonctionnement a paru compliqué pour des utilisateurs, nous avons sans doute sous-estimé ce phénomène. Nous n’avons pas pu tout prévoir, Nous avons réalisé des tests sur 9 000 personnes, c’est forcément différent avec 66 millions de français. » Sans blague… Le PDG de la SNCF (Le Figaro du 28 février) en a remis une couche (d’arguments, pas de tests logiciels…) : « On savait que certaines fonctionnalités n’étaient pas là, on ne s’était pas imaginé que cela perturberait autant les clients. » Pourtant, il s’agissait de fonctionnalités de base…
Règle n° 5 : affirmer que l’on a une grande capacité d’écoute, même si c’est du pipeau, ça ne coûte rien de le dire : « Nous écoutons les critiques et nous nous adaptons. » Histoire de conserver son job…
Règle n° 6 : clouer le bec aux détracteurs. De façon diplomatique bien sûr, comme à la SNCF : « Les avis des utilisateurs sont très différents, il faut de l’indulgence et faire la part des choses. »
Règle n° 7 : rappeler que ne n’était pas mieux avant. « Aucun autre acteur que nous ne propose un service aussi complet, la nouvelle application a cinq fois plus de fonctionnalités que la précédente », nous explique le patron de SNCF Voyageurs.
Règle n° 8 : soutenir que « on y était presque » et que les bugs, c’est du détail. Le PDG de la SNCF a ainsi affirmé : « On a fait des tests, mais on n’en a pas fait assez, il leur a manqué (aux développeurs) probablement trois ou quatre mois. » Bon, ça va, finalement, ce n’est rien… On y était presque !
Règle n° 9 : affirmer que les choix de design, c’est pour faire de l’innovation et c’est pour le bien de l’utilisateur. L’application de la SNCF a plus ou moins copié le look des grands sites spécialisés dans la recherche d’itinéraires, avec une barre de recherche unique, qui ne ramène pas toujours les bonnes infos. Quant au fond sombre, pour économiser l’énergie, paraît-il, il « désarçonne les internautes, qui ne sont pas convaincus par les explications de l’opérateur ferroviaire », rappelle l’article du Figaro.
Règle n° 10 : mettre en exergue que les défauts de l’application n’ont eu aucune conséquence négative sur le business. Tout ça pour ça ? Circulez (en train), y’a rien à voir.
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