Engagez-vous, qu’ils disaient !

L’institut américain Gallup mesure régulièrement le degré d’engagement des salariés. Le constat dressé n’est guère brillant.

On y apprend ainsi que seulement un tiers des salariés sont « engagés » vis-à-vis de leur employeur, qu’ils aiment leur travail et qu’ils font tout pour l’accomplir du mieux qu’ils peuvent. Et les autres ? Ils se répartissent en deux catégories : la première regroupe ceux qui sont complètement désengagés (16 % des salariés quand même…), autrement dit qui considèrent que travailler est une corvée et qui font tout pour rentrer chez eux au plus vite, après, bien sûr, avoir passé un certain temps en pauses interminables à la machine à café ou à la cantine.

Seconde catégorie : ceux qui ne sont ni engagés ni désengagés, mais qui viennent au bureau pour s’occuper. Globalement, la moitié des salariés américains affirment chercher du boulot dans une autre entreprise. On peut concevoir que les américains n’ont pas de chance, avec leur culture du politiquement correct qui doit en irriter plus d’un, la fragilité des contrats de travail qui doit stresser la plupart, leur obsession du résultat qui doit rendre dingues de nombreux managers, et leur manie du reporting qui doit fatiguer tout le monde… D’où cette distance prise à l’égard de leur entreprise.

On ne dispose pas d’études équivalentes pour la France, mais les proportions doivent être similaires. Cela voudrait donc dire que, dans mes équipes, environ un collaborateur sur cinq, non seulement n’a que faire de son boulot, mais peut agir pour freiner tout le monde et diffuser une ambiance pourrie dans l’open space. Et une bonne moitié n’aurait choisi la DSI que parce qu’ils n’avaient rien trouvé de mieux ailleurs ! On peut se consoler en pensant que c’est la même situation dans les métiers.

Il n’empêche : cela ne facilite pas notre job de DSI. Je sais qu’il y a, parmi mes collaborateurs, quelques bras cassés (broken arms, dirait Gallup…) dont j’ai hérité de mon prédécesseur, qui n’était guère pointilleux question recrutement. Mais dans une telle proportion ? J’avoue que ça fait beaucoup pour un seul DSI, dont les frêles épaules ne peuvent pas toujours supporter un tel poids de boulets. Comme dirait l’autre, le célèbre humoriste auvergnat : « Quand on a un bras cassé à la DSI, ça va, c’est quand on en a 20 % que ça pose problème… » Il y en a donc qui se cachent et qui sont suffisamment malins pour qu’on ne les repère pas. Je comprends maintenant pourquoi certains de nos projets n’avancent pas comme prévu : c’est probablement parce que l’un de nos bras cassés a « travaillé » avec un bras cassé issu des métiers. Comme aurait pu faire dire Michel Audiard à Jean Gabin dans « Le cave se rebiffe » (aucun rapport avec le désespoir d’un DSI) : « Les avantages business des projets, ça se partage, les inconvénients des bras cassés, ça s’additionne. »

Il va donc falloir que je m’attelle à la lourde tâche d’identifier ceux qui freinent, tergiversent, louvoient, manœuvrent et rusent pour en faire le moins possible, tout en faisant croire qu’ils sont indispensables. J’ai déjà ma petite idée et une première liste de suspects. Il me faut juste trouver des astuces pour les remettre au boulot, ou pour les fourguer aux métiers en leur faisant croire qu’ils auraient tort de se priver des compétences de tels oiseaux rares qui, par définition, sont très volatiles. À propos de volatiles, on se souvient du succès littéraire « Les oiseaux se cachent pour mourir », paru il y a quarante ans. J’ai bien envie d’écrire la suite qui s’appellerait « Les bras cassés se cachent pour sévir »…