Est-ce que j’ai une tête de ressenti ?

Les récents épisodes neigeux ont entraîné une paralysie de bon nombre d’activités. Et l’on a vu ressortir une idée que je trouve géniale : faire la distinction entre la température réelle, mesurée scientifiquement, et la température ressentie par les individus.

Cette dissociation entre deux facettes d’un même phénomène est très intéressante et s’applique parfaitement à notre métier. Car, en réalité, nous subissons ce phénomène au quotidien.

Et les exemples ne manquent pas. Alors qu’un système fonctionne à 99,9 %, c’est-à-dire sans problème particulier pour les équipes d’exploitation, les utilisateurs vont ressentir qu’il n’est pas assez performant ; même ceux qui ne subissent pas les 0,01 % d’interruption trouveront toujours une bonne raison… De même, alors qu’il sera « scientifiquement » établi qu’avec tel budget alloué à un projet, tel volume des ressources et telles échéances incompressibles, il sera impossible de livrer un projet à l’heure, les métiers ressentiront qu’on se fiche d’eux (bon d’accord, quelquefois, ils n’ont pas tort…). Autre exemple : malgré tous nos efforts pour améliorer la perception de la DSI, avec toute une panoplie d’outils de marketing et de communication, le ressenti des utilisateurs sera toujours en décalage…

L’idéal serait, bien sûr, que nous soyons peu performants, que les utilisateurs ne s’en rendent pas compte et qu’ils ne ressentent que des effets positifs. Ne rêvons pas, cette éventualité reste très hypothétique…

L’un des points sur lequel le ressenti est important concerne le rôle stratégique du système d’information pour la performance de l’entreprise. On a beau sortir toutes les études qui démontrent que les technologies de l’information sont bonnes pour le chiffre d’affaires et la rentabilité, souvent, rien n’y fait : les métiers et les directions générales restent persuadées qu’ils peuvent se passer de nous.

J’ai donc ressenti le besoin de leur démontrer le contraire. Tout comme on a régulièrement « la journée de… », souvent sans intérêt, j’ai institué « la journée sans système d’information ». Je voulais faire plus long, mais c’était quand même risqué… Donc, ce fut une journée sans e-mail, sans poste de travail, sans rien ! Certes, les utilisateurs ont ressenti comme une grande vague de froid : geler les e-mails, congeler les postes de travail, réfrigérer les pièces jointes et givrer les applications métiers, ils n’étaient pas habitués…

Les résultats ont plutôt été concluants : la productivité globale de notre organisation s’est effondrée à la vitesse d’une avalanche, avec moi dans le rôle du skieur hors-piste qui l’a déclenchée…

Mais il faut quand même reconnaître que la productivité n’est pas retombée à zéro. Car tout le monde s’est trouvé une occupation utile, à part notre directeur marketing qui est allé au golf. A la production, ils ont fait du rangement dans les docs de maintenance, à la direction des ressources humaines, ils ont assisté à une conférence sur « l’entreprise libérée et l’engagement sociétal » au lieu de faire du reporting Excel sur les fiches de temps et les notes de frais. Au service communication, ils ont visité des lieux festifs pour éviter, la prochaine fois, de nous emmener dans des endroits glauques comme ils en avaient l’habitude. A la direction financière, ils ont enfin commencé à rédiger le rapport annuel, ce qui leur évitera d’être une nouvelle fois en retard et de s’attirer les foudres des autorités de contrôle des marchés financiers. A la direction des achats, ils ont pris le temps de relire les contrats archivés sur papier. Histoire de voir où ils se font fait avoir par certains fournisseurs…

Bref, des tâches, elles aussi, tout aussi utiles que l’usage d’un PC, d’un ERP ou d’un tableur…

Pour la prochaine « journée sans système d’information », j’essaierai de ne pas prévenir à l’avance. Juste pour voir si le ressenti des utilisateurs ne va pas générer une tempête de vent glacial qui pourrait congeler définitivement tout espoir de voir ma carrière progresser dans le bon sens…