Le reporting est reporté à une date ultérieure

Un conseil : il ne faut jamais appeler vos fournisseurs préférés en début de trimestre. Surtout si ledit trimestre débute un semestre. Et encore moins si le trimestre en question débute une année fiscale.

L’autre jour, je voulais m’enquérir auprès de Meyeur-Sainou-Lémeyeur, notre cabinet de conseil « partenaire » (ben oui, il y en a) de la possibilité de lancer fin 2013 une nouvelle mission pour notre usine de Vatexibé-sur-Seine, qui a besoin d’un petit ravalement de ses processus métiers. Comme il nous reste un peu de budget, je voulais le dépenser intelligemment. En tout cas plus intelligemment que si je l’avais affecté à payer la maintenance de notre ERP qui, lui, n’est pas notre préféré.

– Je voudrais parler à Lucas Hiédécharge.
– Ah ! Vous tombez mal, il est en réunion de reporting. Et ça risque de durer longtemps…
– Et Gaétan Veuencore de l’Avenan de Trau ? (il avait choisi d’être consultant parce qu’on lui avait assuré qu’il s’agissait d’un « noble métier »… Pauvre garçon…)
– Lui aussi… pas de chance, hein !
– Bon, passez-moi le senior manager.
– Heu… C’est-à-dire que…

Visiblement gênée, mon interlocutrice n’ose pas m’annoncer ce qui est prévisible : il est lui aussi en réunion de reporting. Après avoir fait le tour de tous les consultants possibles, force m’est de constater que tous étaient en réunion de reporting. Même l’operational associate vice-senior manager (le top du top dans la hiérarchie de cabinets de conseil, celui qui a droit à toutes les options dans sa voiture de fonction) ! Celui-là, il doit avoir la lourde charge d’établir le reporting des reportings pour son boss, un américain à qui on a greffé un tableau Excel à la place du cerveau, paraît-il.Vous ne pourrez joindre personne, il faudrait rappeler la semaine prochaine. Tous les trimestres, c’est la même chose : pendant une semaine, tous nos consultants passent leur temps en réunion de reporting. Et c’est moi qui dois me coltiner les appels des clients. Je ne dis pas ça pour vous bien sûr… Heureusement, je parcours les livrables de nos consultants pour me tenir au courant des projets. Il m’arrive même de préparer des livrables à partir des comptes rendus de nos consultants. C’est toujours intéressant de se cultiver sur le métier de l’entreprise qui vous emploie, vous ne trouvez pas ?

– Si, bien sûr… lui répondis-je.
– Vous devez être incollable sur les méthodologies employées par votre cabinet ? ajoutai-je.
– Bien sûr, même que des fois je dépanne quelques consultants juniors qui sont un peu perdus dans nos approches méthodologiques.
– Ne vous inquiétez pas, tout le monde connaît ces techniques…

Je lui ai souhaité bon courage dans ses lectures estivales et studieuses de livrables presque livrés. Non sans lui avoir demandé son nom. « Juste pour savoir » ai-je précisé, histoire de la rassurer sur le fait que je n’allais pas la dénoncer à ses managers pour mauvais esprit pendant que ceux-ci ont le dos tourné et sont concentrés sur leurs reportings stratégico-quarterlistes. Évidemment, lorsque nos chers consultants de Meyeur Sainou Lémeyeur en ont eu fini avec leurs reportings à rallonge, ils m’ont recontacté. L’operational associate vice-senior manager en personne.
– Votre projet est toujours d’actualité ? Nous avons embauché quelques consultants juniors ambitieux et néanmoins compétents qui pourraient faire l’affaire chez vous. Vous verrez, ils sortent tous des meilleures écoles de rang A. Je vous en mets trois, comme d’habitude ?
– Non, un seul suffira pour commencer. En fait, une seule, madame Agathe Zeblues.
– Vous plaisantez j’espère. Une simple standardiste pour vous accompagner sur la refonte de vos processus métiers ? Vous n’y pensez pas !
– Si. Je veux un regard neuf sur nos processus, pas celui de vos « écoles de rang A ». Et je la veux la semaine prochaine !

Il a bien fallu qu’il se plie à mon exigence. J’imagine déjà la tête de son boss quand l’operational associate etc. devra expliquer dans son prochain reporting pourquoi il a facturé la standardiste auprès d’un client et pourquoi il a fallu tripler son salaire…