MafioSI

Malgré une intense activité, car le management des systèmes d’information n’est jamais de tout repos, j’ai quand même pu prendre une semaine de vacances, bien méritées. J’ai opté pour une région ensoleillée, la Sicile. J’ai eu la chance de profiter d’une immersion au sein de la population locale. Un soir, des amis m’ont emmené dans un dîner en ville, à Palerme, avec des dirigeants d’entreprises locales. Ils m’avaient rassuré : « Il y aura un DSI, comme toi, tu auras forcément un sujet de conversation… ».

Effectivement, il était là. Dino Alfornissoro est DSI d’une grosse entreprise de BTP. « C’est la plus importante de Sicile », me précisa-t-il, histoire de montrer qu’il est un DSI influent et puissant. Au cours du repas, la conversation avec Dino roula sur nos problèmes de DSI. J’ai tout de suite envié mon nouvel ami pour la façon dont il manage le système d’information. Après lui avoir raconté mes difficultés à travailler avec les métiers, il me confie que, dans son entreprise, Corleone & Genovese & Carmoni & Associates, les relations avec les métiers se passent très bien.

– Dès que des difficultés surgissent, nous allons expliquer à nos collègues notre point de vue.
– Et ils ne discutent pas, ne cherchent pas à négocier ?
Le léger sourire qui éclaira son visage me laissa penser que mon interlocuteur a des arguments qui ne prêtent pas à discussion.
– Mais comment faites-vous ?
– Disons que nous avons des arguments convaincants : notre gouvernance est très élaborée, je travaille en étroite collaboration avec la direction générale et toute la famille… Heu…, pardon, les actionnaires.
– Et ceux qui ne sont pas d’accord ? Car, dans une entreprise, il y en a toujours qui ne sont pas d’accord avec la stratégie SI.
– Oh, ceux-là, ils quittent l’entreprise et nous n’en entendons plus jamais parler. Comme disait l’illustre fondateur du groupe, Don Vito Corleone : « Tout ce que vous direz ou ferez pourra être retenu contre vous, devant vous et derrière vous. » C’est le principe de la gouvernance à 360°. Tout le monde fait donc attention à ne pas froisser la direction générale et la DSI.
– J’ai un autre problème. Je subis actuellement un audit de licences de la part d’un grand éditeur, Orapsoft. Il ne me lâche pas.

Cette fois, Dino n’a pas fait apparaître son sourire carnassier.
– Nous aussi, nous avons eu un « léger désaccord » avec cet éditeur, me confie-t-il.
– Comment l’avez-vous géré ?
– Il nous a réclamé, d’emblée, douze millions d’euros pour la régularisation. J’avoue que la méthode est un peu brutale. Certes, nous sommes habitués, en général, c’est nous qui la pratiquons. Mais là… Voir débarquer des auditeurs tout juste sortis de leur école de commerce qui nous réclament du cash ! Des millions de cash…
– Ont-il raison de vous réclamer une telle somme ?
– Même pas. Selon nous, toutes nos licences sont conformes, nous y tenons particulièrement. On ne veut pas d’ennuis avec la police… En tous cas pas pour ce genre de détails.
– Comment ont-ils justifié le redressement ?
– Ils ont, soi-disant, identifié des utilisateurs fantômes, des contrats qui ne seraient plus à jour et des accès indirects non déclarés. Mais nous sommes de bonne foi. Comme toujours…
– Vous n’avez pas payé, j’espère. Je suppose que vos avocats sont intervenus ?
– Nos avocats ? Mais nous n’avons pas besoin d’avocats pour régler le problème et ne pas débourser un euro. Nous avons réuni les auditeurs, les commerciaux d’Orapsoft, ainsi que leur DG et leur avons expliqué notre vision de la situation.
– Vous avez trouvé un arrangement ?
– Oui. Plus exactement, nous leur avons fait une offre qu’ils n’ont pas pu refuser.
– Laquelle ?
– L’abandon immédiat et sans conditions de leurs exigences inacceptables.
– Ils ont accepté sans demander de contreparties ?

Dino m’explique que le fait, pour les jeunes auditeurs et commerciaux, d’avoir face à eux tout le comité de direction de Corleone & Genovese & Carmoni & Associates, silencieux, avec juste un sourire carnassier comme argument, a suffi.
– Ils ne sont jamais revenus, précise Dino.
– Mais vous ne leur avez rien dit ?
– Ah, si, quand même : nous leur avons expliqué que nous souhaitions absolument conserver sur notre territoire le monopole des méthodes de voyous. Et qu’il serait judicieux qu’ils respectent ce principe avec nous. Mais nous les avons autorisés à exercer ces méthodes dans d’autres entreprises et d’autres pays.
– Pourquoi ?
– Parce que, reconnaissez que des types capables de gagner des centaines de millions d’euros sans rien faire méritent quand même le respect… Finalement, ne sommes-nous pas du même monde ?