On touche le fonds

Il paraît que dans notre écosystème foisonnent de nombreuses start-up qui regorgent de talents pour inventer des technologies qui nous conviendraient. Depuis le temps que mes collègues m’en parlent et m’incitent à regarder de près ces gisements de créativité, j’ai décidé de m’y intéresser.

Il paraît que dans notre écosystème foisonnent de nombreuses start-up qui regorgent de talents pour inventer des technologies qui nous conviendraient. Depuis le temps que mes collègues m’en parlent et m’incitent à regarder de près ces gisements de créativité, j’ai décidé de m’y intéresser. Sérieusement. J’ai donc écumé tous les rassemblements de startuppers pour me faire une idée de ce qui pourrait me convenir. Ça change de nos clubs de DSI où, il faut bien l’avouer, l’ambiance, si elle est quelquefois festive, n’est pas toujours à la hauteur.

Je vous avoue que l’on trouve de tout dans les conférences et autres salons où pullulent les start-up. Mais il y a un point commun entre tous ces jeunes (hé oui, ce sont plutôt les jeunes qui sont créatifs, pas les vieux comme nous…) : ils sont obsédés. Par quoi me direz-vous ? Par l’argent, car ils ne pensent qu’à une chose : lever des fonds ! Le dialogue est quasiment toujours le même.

– Expliquez-moi ce que vous faites, dira le DSI.
– J’ai inventé une technologie extraordinaire de reconfiguration du tethering à tête chercheuse, pour mieux l’intégrer à la bandwith, afin de mapper le backbone latéral, et éviter ainsi le remote echo qui upgrade de façon intempestive la wave table ; vous comprenez, sinon, ça brouille la qualité du vertex shader, c’est quand même gênant si vous voulez linuxer une interface à fort degré de luminescence, répondra le startupper.

– Ah ? Et vous avez déjà des clients ? questionnera le DSI.
– Non, pas encore, vous savez, nous sommes très occupés à lever des fonds, au moins un million d’euros. Nous avons bon espoir d’y parvenir, nous sommes en contact avancé avec Swindlers-Smugglers-Crooks & Associates, qui sont de bon conseil.
– Mais en quoi votre invention répond-elle à un vrai besoin pour nous, pauvres DSI à la recherche de solutions simples, ergonomiques, efficaces et qui créent de la valeur pour notre système d’information ? interrogera le DSI.
– Quand nous aurons levé des fonds, nous serons à même de répondre à cette question.
– Vous ne vous êtes pas posé cette question, pourtant fonda­mentale, lorsque vous avez créé votre entreprise ? relancera le DSI.
– Ben non, vous savez, nous, quand on voit que tous nos copains qui ont créé des boîtes lèvent des fonds, on essaie de faire comme eux.
– Vous avez une documentation marketing qui explique à quoi sert votre solution et qui donne envie de l’acheter ? s’enquérera le DSI.
– Une documentation quoi ?
– Marketing… Vous savez ce petit document qui résume vos points forts, vos éléments différenciateurs, votre positionnement, votre création de valeur pour vos clients, enfin… Heu… pour vos futurs clients…
– Non, pas encore, mais, maintenant que vous m’y faites penser, je crois que, lorsqu’on aura levé des fonds, on a le projet de payer une grande agence de pub pour élaborer une documentation produit.

Le dialogue pourrait ainsi se poursuivre pendant longtemps… Il leur reste du chemin à faire à nos chers startuppers pour repeindre d’une bonne couche de marketing leurs solutions, qui sont sûrement très performantes, pour peu que l’on y comprenne quelque chose. Faut dire que les incubateurs n’aident pas à dynamiser tout ce petit monde : rien que leurs noms incitent plutôt au farniente. On trouve ainsi, à Paris, des endroits qui abritent des start-up et qui ont pour noms La Cantine et Le Camping. Pourquoi ne pas créer un autre incubateur baptisé « Sieste, Bouffe, Plage et plus si affinités » ? On trouve aussi Silicon Sentier. Un sentier ? Ca fait plutôt penser à la randonnée. Silicon Voie Rapide aurait été plus approprié. On s’étonnera que les start-up soient lentes à décoller : quand on flâne sur un sentier, que l’on se pose au camping en attendant l’heure de manger à la cantine, il ne peut en être autrement.

Vous pourrez penser que j’exagère, que je caricature (ce n’est vraiment pas mon style, vous le savez…). Plus sérieusement, il me semble que les start-up qui attendent trop des levées de fonds, en imaginant qu’elles sont d’inépuisables sources de financement, vont vers de sérieuses désillusions. En octobre 2013, les start-up françaises du Web ont levé 25 millions d’euros, soit 82 % de moins qu’un an auparavant. C’est plutôt une bonne nouvelle pour inciter à diversifier les sources de financement. Comme disait le philosophe africain Bougetonku (Vème siècle avant l’invention des business plans) : « Quand le fonds ne se lève plus, tu peux enfin t’asseoir dessus. »